http://schoenelblog2.blogspot.com/ Lettre à l'Epouse 2: L'âge de l'Eglise de Pergame 4

lundi 9 décembre 2013

L'âge de l'Eglise de Pergame 4

L’Eglise se réorganise sous Constantin.

Cependant, malgré les ambiguïtés politico-religieuses de Constantin, un virage essentiel s’opéra rapidement dès son arrivée au pouvoir. Constantin fait restituer à toutes les Églises les bâtiments et les biens confisqués lors de la persécution de 303 sans indemnités pour ceux qui les occupaient désormais. Il distribue généreusement dès 313 l'argent et les terrains, à Rome et en Afrique notamment. Il accorde surtout à l'Église des privilèges juridiques que le clergé et les temples païens n'ont jamais eus : en 321, le droit de recevoir des legs même si les testaments n'étaient pas faits selon les règles ; en 318 le droit de juger les clercs dans des tribunaux d'Église indépendants ; en 316 le droit de valider des affranchissements d'esclaves, ce qui jusque-là, en dehors des affranchissements par testament, ne pouvait être fait que devant un magistrat romain. Il reconnaît donc les tribunaux épiscopaux et fait du dimanche (jour du soleil païen) un jour férié obligatoire en 321, à l'exception des travaux des champs. L’empereur accorde également des dons en argent et en terrains à l'Église, soutenant la construction d'églises ou de grandes basiliques, comme la Basilique Saint-Jean-de-Latran, celle de Saint-Pierre de Rome, Sainte-Sophie de Constantinople ou du Saint-Sépulcre de Jérusalem.

À partir de maintenant, tous les éléments sont en place pour que les conseils de Balaam à Balaq deviennent une doctrine qui va se répandre dans l’empire de Constantin. La persécution de Dioclétien ayant décimé les chrétiens les plus purs et fervents, notamment parmi les dirigeants, ceux qui restaient à la sortie de la persécution étaient soit des tièdes, soit des jeunes presbytres inexpérimentés. Ce troupeau sans véritable berger va donc suivre le loup qui leur fait don de tant de grâce. Imaginez, privé de tout pendant près de 10 ans, ils se retrouvent inondés de biens et de pouvoirs nouveaux qui arrivent de manière quasi providentielle. Cela ne pouvait être que le résultat de la réponse de tant de prières et de supplications. La preuve que Dieu est vainqueur de toutes choses et de tous royaumes. En plus Constantin fera fermer les temples païens en confisquant leurs biens pour la construction de sa nouvelle capitale, Constantinople. Que du bonheur.

Il fallait être bien naïf pour croire que Satan allait lâcher prise tellement facilement. Après la persécution qui avait échoué, le diable passe à la séduction qui reste son meilleur atout. Et cela va fonctionner à merveille. La première des choses qui va révolutionner l’Église qui n’est alors constituée que par l’assemblée et constitue le nouveau temple de Dieu, c’est de construire des temples de pierres qui vont devenir des lieux sacrés. Désormais ce ne sera plus le lieu qui sera sanctifié par ceux qui y sont présents, mais l’inverse, car sera considéré comme saint celui qui sera présent au moment de la messe et participera à l’eucharistie.

Investi de pouvoirs nouveaux et d’un temple nouveau, l’évêque va développer une Église nouvelle. Deux tendances diamétralement opposées vont alors caractériser l'Église du IVe et du Ve siècle : d'un côté l'accroissement de sa richesse temporelle, de l'autre le développement du monachisme dont Martin de Tours sera l’exemple à suivre. Avec la sortie de la clandestinité, les richesses de l'Église deviennent reconnues et protégées et elles ne tardent pas à s'accroître par le jeu des legs comme l'attestent ses propriétés à la fin du Ve siècle en Italie, mais aussi dans tout le bassin méditerranéen. L'évêque ajoute à ses fonctions celui d'administrateur de biens. Le mouvement inverse qui consiste à fuir non seulement les richesses, mais aussi le monde. Les évêques accepteront ce que le Christ refusa pendant les jours de sa tentation dans le désert.

Au cours du IVe siècle vont se dégager les trois grands principes de l'organisation de l'Église nouvelle: séparation des clercs et des laïcs, puis formation d’un clergé séculier et régulier. Les doctrines de Balaam et des Nicolaïtes vont s’institutionnaliser au fil du temps et des conciles supervisés par les empereurs romains.

Vers l’unification dogmatique et hiérarchique.

Sous Constantin les Églises étaient encore indépendantes les unes des autres et chaque évêque maître en sa chapelle en quelque sorte. Cependant des courants de pensée différents comme les hérésies traversaient toutes ces Églises, ainsi que certaines pratiques comme la célébration des jours de fête ou la prise de la sainte cène, on a vu cela avec Polycarpe. Deux gros blocs vont progressivement émerger de cela, qui formeront l’Église d’Orient et d’Occident. Dans la partie orientale, les hérésies d’Arius trouvèrent un bon écho et se développaient rapidement. Dans la partie occidentale où l’évêque de Rome progressivement s’élevait en autorité comme successeur présumé de l’apôtre Pierre, on résistait encore bien à ces thèses divergentes.

L’empereur qui avait absolument besoin d’une Église unie pour asseoir sa domination, ne pouvait se satisfaire de toutes ces querelles dogmatiques dont il ne comprenait de surcroît rien du tout et le dépassait largement. Pour lui tout cela était secondaire et il convenait d’y remédier, en convoquant en réunions les évêques les plus importants pour trouver des compromis sur tous ces sujets de division. L’empereur comme pontife allant jusqu’à revendiquer pour lui-même une sorte de ministère de l’unité et de l’universalité ; ce n’est pas par hasard que Constantin voulut être appelé du titre d’”évêque” de l’extérieur et d’“égal aux Apôtres” et c’est à ce titre qu’il cherchera à résoudre les querelles théologiques avec des conciles d'évêques représentatif de toute l’Eglise (Rome 313, Arles 314, Nicée 325). Comme il n’y avait aucun chef d’une Eglise universelle, c’est l’empereur qui jouait le rôle d’arbitre entre les différents évêques et courant de pensées dogmatiques.

L’évêque de Rome Sylvestre, qui siégea de 314 à 335 et qui cherchait déjà comme ses prédécesseurs la primauté sur toutes les Églises, n’aura aucune influence sur ces synodes, ce qui confirme largement qu’il n’était pas encore reconnu comme supérieur aux autres. Lorsque Constantin convoqua le synode d'Arles pour décider sur la légitimité de l'accession de Cécilien au poste d'évêque de Carthage (en dépit du fait que l’évêque Miltiade s'était déjà prononcé avec un synode en sa faveur), l'empereur ne nomma pas Sylvestre pour le présider, mais Chrestus, évêque de Syracuse et Marius, évêque d'Arles. La notion de pape comme on la présente aujourd’hui, n’avait alors aucun sens. Sylvestre n'assista pas davantage au concile œcuménique convoqué lui aussi par Constantin qui se réunit à Nicée (Iznik) en 325. Ce Concile se mit d'accord sur un symbole commun à l'Église (une profession de foi unique) et condamna Arius qui enseignait que le Fils était de nature inférieure à celle du Père. Sylvestre y envoya cependant deux prêtres pour le représenter, mais on ne leur reconnut aucun droit de préséance. Ils apposèrent leur signature aux actes, avant les autres évêques, mais après Ossius, évêque de Cordoue en sa qualité de président de l'assemblée représentant l’empereur. Constantin montre bien au travers de ces synodes, son désir d'assurer à tout prix, par la conciliation ou la condamnation, l'unité de l'Église qu'il considère dès ce moment comme un rouage de l'État et l'un des principaux soutiens du pouvoir, et devient, ce faisant le véritable « président de l'Église » ou dit autrement, le premier pontife de l’Église. Ainsi se met en place, dès le règne de Constantin, ce qu'il est convenu d'appeler un césaropapisme, c'est-à-dire un régime comme l'a montré l'historien Gilbert Dagron, dans lequel les pouvoirs politique et religieux, bien que séparés, ne sont pas dissociables, car le détenteur du pouvoir politique, considéré comme désigné par Dieu, participe de la nature épiscopale et exerce son autorité sur l'Église. Si un pape devait être recherché en ce temps-là, ce ne pouvait être que Constantin lui-même, cependant cette dignité religieuse n’apparaitra que dans l’âge suivant avec l’effondrement de l’Eglise d’Orient.

Du fait de sa conversion, Constantin ne cherchera pas à affirmer une filiation divine. Il prétend plutôt avoir été investi par le dieu des chrétiens pour gouverner l'Empire. L'empereur agit comme un clerc dans sa manière d'exercer le pouvoir. À Constantinople, il construit son palais comme si c’était une église ; car il affirme avoir reçu une vision du Christ comme s’il était un apôtre, il porte d'ailleurs comme les empereurs à sa suite le titre d'isopostole, égal aux apôtres; c’est pour cela qu’il agit comme un évêque lors du Concile de Nicée convoqué par lui-même, mais il ne l’est pas. Constantin affirme qu'il est le représentant de Dieu sur la terre. En son intelligence se reflète l’intelligence suprême. Constantin affirme: «la providence divine agit de concert avec moi». En tant que représentant de Dieu sur Terre, ses décisions sont sacralisées. De ce fait, il lui paraît évident que les décisions religieuses relèvent de son autorité. Il s'entoure d'un faste incroyable pour exalter la grandeur de la fonction impériale. Désormais la romanité et la religion chrétienne sont liées. Eusèbe de Césarée, reprenant les thèses de Méliton de Sardes, élabore, à cette époque, la théologie de l'empire chrétien. Pour lui, l'unification politique a permis l'unification religieuse. L'empereur est dans ce cadre, le serviteur de Dieu et comme l'image de fils de Dieu, maître de l'univers. L'empereur reçoit aussi la mission de guide vers le salut et la foi chrétienne. Son intervention grandissante dans les questions religieuses se trouve ainsi légitimée ainsi que le césaropapisme.

Les évêques tentent pourtant dès le règne de Constantin et encore davantage sous ses successeurs de préserver l'Église contre les empiétements du pouvoir impérial, en particulier dans le domaine du dogme, et, d'autre part, de marquer que comme chrétien, l'empereur doit être soumis aux mêmes obligations morales et spirituelles que les autres fidèles. Cependant il faudra attendre la chute de l’empire pour que l’évêque de Rome gagne lentement en autorité. Au concile de Sardaigne (343), il est décidé que tout évêque déposé dans sa province (par un synode local) peut en appeler à l'évêque de Rome, ce qui sera un premier jalon vers une primauté dans les affaires de l'Église. L’évêque Damase (366-384) sera le premier à parler de siège apostolique et c'est lui qui poussera l'empereur Théodose à promulguer l'édit de 380 qui fait du christianisme la seule religion officielle de l'empire. Siricius (384-399) et Innocent (402-417) vont poser un début d'autorité théologique en écrivant des décrétales, lettres réponses aux questions posées par les évêques. Avec la dissolution progressive de l'Empire romain dans le chaos, l'Église apparaît de plus en plus comme la seule structure encore organisée de l'empire et l'on voit des évêques (comme Germain) négocier avec les barbares pour sauver leur province; Léon Ier le Grand (440-461) négocie la paix avec les Huns puis les Vandales pour sauver Rome. Il espère substituer la paix chrétienne à la paix romaine. C'est une idée émergente que le christianisme sera peut-être la seule survie de l'empire face aux déferlements barbares. Il est alors reconnu que l'évêque de Rome possède seul les pleins pouvoirs avec le soutien de l'empereur. Gélase Ier (492-496) inaugurera une théologie du pouvoir papal en reconnaissant deux autorités : celle spirituelle des évêques, et celle temporelle des princes qui lui est subordonnée.

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