http://schoenelblog2.blogspot.com/ Lettre à l'Epouse 2: L'âge de l'Eglise de Pergame 4

samedi 7 décembre 2013

L'âge de l'Eglise de Pergame 4

L'empereur Constantin


Constantin est généralement présenté comme étant le premier empereur romain à s’être converti au christianisme. En fait c’est plutôt le contraire qui va se produire, c’est l’Église qui sous sa domination va faire entrer le paganisme et l’idolâtrie dans ses murs. Il est impossible de comprendre l’évolution au sein de l’Eglise, si on ne connait pas l’œuvre antéchrist entreprise sous Constantin  présenté par beaucoup comme le premier empereur chrétien, ce qu’il ne fut jamais au sens biblique du terme.

L’arrivée au pouvoir de Constantin est le résultat d’une recherche de stabilité au sommet de l’État et dans l’empire. Une partie des dix années de persécution qui ont précédé la venue au pouvoir de Constantin, est lié à une véritable anarchie qui s’était installée dans la gouvernance de l’Empire romain. Au début du IVème siècle on a alors sept empereurs en même temps qui gouvernent, une heptarchie, qui ressemble davantage à l'anarchie militaire du IIIe siècle. Une première série de décès contribue à clarifier la situation : Maximien est assiégé dans Marseille par Constantin et se suicide en 310, Domitius Alexander est battu en Afrique par Maxence et est assassiné en 311, Galère meurt de maladie en 311. A sa mort règnent quatre Augustes : Maximin Daïa, Constantin, Licinius et Maxence. Constantin élimine Maxence le 28 octobre 312 à la bataille du pont Milvius, ce qui lui permet de s'emparer de l'Italie et de régner en maître sur l'Occident. De son côté, Licinius défait Maximin Daïa à la bataille d'Andrinople (313) et règne sur l'Orient : une nouvelle diarchie se met en place entre Constantin et Licinius scellée par un mariage entre Licinius et Constantia, la demi-sœur de Constantin. Les relations entre les vainqueurs ne tardent pas à se dégrader, tous deux faisant montre d'une énorme ambition. À partir de 320, Constantin entre de nouveau en conflit avec Licinius. En 324, Licinius est vaincu à Andrinople, puis à Chrysopolis et fait sa soumission à Nicomédie. Il est exécuté peu de temps après, ainsi que son fils. Pour la première fois depuis quarante ans, l'Empire est gouverné par une autorité unique : Constantin règne seul pendant treize ans.

Constantin comprend que la multiplication des croyances, contribuent à la multiplication des pouvoirs et va donc conduire une politique de centralisation tant politique, qu’économique et religieuse. Il abandonne donc les formes religieuses élaborées sous la tétrarchie, d'abord par un retour au modèle solaire des empereurs pré-tétrarchiques, puis par l'abandon de la protection des dieux tutélaires de Rome et de l'Empire pour un dieu nouveau, le dieu des chrétiens. Le monothéisme devient le fondement idéologique de la monarchie constantinienne, ses idées politiques étant inspirées de principes unitaires, alors que le polythéisme convenait mieux à l'idéal de la tétrarchie : il n'existe qu'un seul Dieu, il ne doit y avoir qu'un seul monarque qui gouverne selon la volonté divine. Son principal théoricien, Eusèbe de Césarée, affirme, dans le Discours des Tricennales, que le royaume terrestre de Constantin est à l'image du royaume de Dieu et que l'empereur est entouré de ses Césars comme Dieu l'est de ses anges.

Yves Modéran explique que la raison du choix de la religion chrétienne par Constantin tient à un besoin de légitimité. Depuis la grande crise du IIIe siècle, qui avait vu une incroyable succession d'usurpations, les empereurs avaient cherché en effet à consolider le pouvoir impérial en l'appuyant plus fortement sur un support religieux. Aurélien, en 274, avait promu à cet effet le Dieu suprême Sol Invictus, dont il se disait l'élu et le vicaire. Dioclétien, en fondant la Tétrarchie, avait été plus loin à partir de 287, en prenant le surnom de Jovien, et en donnant à son collègue Maximien celui d'Herculien : les empereurs étaient officiellement les fils de Jupiter et d'Hercule, qui agissaient à travers eux. Tous les actes impériaux étaient des actes voulus par la divinité. Dans les deux cas, le message politique de ces proclamations religieuses était clair et ouvertement énoncé : il s'agissait à l'avance d'enlever toute légitimité aux usurpateurs éventuels. Seul l'empereur était élu des dieux, et seul le successeur qu'il désignait était légitime, parce que lui-même choisit, à travers l'empereur par la divinité. Or Constantin, lorsqu'il réalisa entre 306 et 312 son ascension politique, en éliminant peu à peu tous les empereurs concurrents en Occident, était lui-même un usurpateur. Certes, il était par le sang le fils d'un Tétrarque, Constance Chlore, mais il n'avait pas été désigné par les Tétrarques pour leur succéder. En 306, à la mort de son père, il se fit illégalement acclamer par l'armée, et s'il alla ensuite de succès en succès, ce fut cependant toujours en étant confronté à un constant problème de légitimité. C'est cela d'abord qui explique, dès 307-308, son retour au culte solaire, et sa vision d'Apollon en 310 : en guerre contre les Tétrarques, il ne pouvait invoquer Jupiter ou Hercule, et il avait dû chercher une autre légitimation divine. Mais le problème pour lui en 312, lorsqu'il décida d'attaquer Maxence, maître de l'Italie, c'est qu'il trouva alors, sur le terrain de la légitimité divine païenne, quelqu'un d'encore plus fort que lui. Maxence lui aussi était un usurpateur depuis 306. Et comme Constantin il avait dû chercher des soutiens divins nouveaux. Mais il avait un avantage unique. Maître de Rome, il contrôlait en effet tous les grands temples des dieux protecteurs des empereurs et de l’État : Jupiter, Hercule, Vénus, et aussi Apollon et Sol Invictus, la grande divinité solaire. Or tout ce que nous savons de la politique de cet empereur montre précisément qu'il manifesta une dévotion extraordinaire envers tous ces dieux. C'est même un des grands paradoxes de l'histoire romaine que de constater que les faveurs publiques au paganisme ont atteint dans la capitale leur sommet juste avant l'entrée du premier empereur chrétien. Les traces en sont toujours visibles à Rome aujourd'hui : sur le forum, outre l'énorme basilique dite " de Constantin ", en fait une construction lancée par Maxence et qui devait abriter sa statue géante, le plus grand temple de la Ville, face au Colisée, est le temple de Vénus et de Rome, parce que Maxence le fit reconstruire entre 306 et 312 en lui donnant des dimensions gigantesques.

On perçoit dès lors mieux ce que fut, sur le plan idéologique et religieux, la guerre de 312 : un conflit entre deux ambitieux, qui cherchaient à légitimer leur position par tous les artifices de la religion, mais avec un avantage certain en ce domaine pour Maxence. Face à cela, Constantin avait un véritable handicap. Il lui fallait rehausser sa prétention au pouvoir suprême par une légitimité divine, mais celle-ci ne pouvait, pour se justifier, provenir que d'une divinité qui cumulerait deux qualités : être une divinité toute puissante, supérieure à elle seule à tous les dieux de la Rome païenne ; et être une divinité universelle, de tout l'empire, qui transcenderait les frontières. Or devant cela, Constantin n'avait guère de choix. Il pouvait, certes, célébrer le dieu des néo-platoniciens, l'Un de Plotin, inconnaissable et inaccessible, que seuls les philosophes évoquaient : mais l’impact politique d’un tel choix aurait été quasiment nul. Ou il pouvait s'appuyer sur le Dieu des chrétiens, que tout le monde désormais connaissait, parce que les chrétiens étaient présents partout, parce que la persécution venait de montrer la foi ardente que ce dieu suscitait, et parce que même Galère, le plus fanatique des Tétrarques, sur son lit de mort, en 311, venait de reconnaître l'échec de la politique de  persécution, en reconnaissant dans un édit officiel l'existence légale des chrétiens, qu’il invitait désormais à prier pour le salut de l'Empire.

En l'état actuel de nos connaissances, le doute n’est guère possible : Constantin, indépendamment de ses convictions personnelles, a choisi en octobre 312 le christianisme parce qu'il lui donnait une légitimité politique nouvelle et complètement à part, au-dessus de toutes les autres. Il a pris ses adversaires totalement de court avec ce ralliement, et le succès n'a certainement ensuite fait que le renforcer dans ses convictions. Cette explication n’exclut évidemment pas une évolution continue de l’empereur après 312 : nul doute en effet que, parti de ce choix politique et idéologique, Constantin a ensuite appris progressivement à mieux connaître le dogme, consolidant ainsi peu à peu son adhésion initiale.

Les réformes de Constantin.


Lane Fox estime la part des chrétiens, en 312 à la sortie de la persécution  de Dioclétien, à 4 à 5 % seulement de la population totale de l'Empire, ce qui ferait d'eux une petite minorité. La persécution avait décapité la chrétienté de ses meilleurs éléments, laissant un trou béant dans la hiérarchie chrétienne. L’absence de conducteurs spirituels forts attachés à la Parole divine, a rendu les murs de l’édifice chrétien lâche et perméable, les hérésies étaient fortes et nombreuses, ce qui divisait les Églises sur de nombreux points doctrinaux. Ainsi, un si petit nombre de citoyens romains et de surcroît divisés ne pouvait en aucun cas faire basculer tout l’Empire romain vers une nouvelle religion et en imposer le culte. Ce qui s’est passé sous Constantin, c’est que l’Empire qui est sorti extrêmement fragilisé du IIIème siècle, devait être totalement remanié et réformé en profondeur s’il voulait survivre.

La première réforme importante étant de fonder une nouvelle capitale. Depuis l’éparpillement du pouvoir au IIIème siècle, les différents Césars ont en effet vécu non pas dans la capitale historique, Rome, mais dans les secteurs qu’ils avaient en charge. Constantin décide donc de transformer l’ancienne cité grecque de Byzance et la rebaptisant avec son propre nom. C’est ainsi qu’après douze ans de travaux, Constantinople est inaugurée comme Capitale de l’Empire en 330.

Constantin transforme également toute l’organisation du pouvoir central. Désormais, l’Empire est dirigé par une bureaucratie efficace servie par un nombre très important de fonctionnaires. Le Sénat ne retrouve ses prérogatives que pour des initiatives ponctuelles et locales, le vrai pouvoir législatif restant entre les mains du Conseil de l’Empereur. L’armée subit aussi de profondes transformations. Constantin poursuit les luttes contre les barbares, mais réorganise les unités et la chaîne de commandement. Sa doctrine militaire accepte une certaine porosité des frontières, c'est-à-dire d’éventuelles incursions barbares dans les territoires de l’Empire pour mieux les fixer et les contrer par la suite.

Toutefois, le plus grand virage accompli par Constantin reste sans conteste l’orientation religieuse qu’il donne à l’Empire en faveur du christianisme. En 312, à la veille de la bataille du Pont Milvius qui l’oppose à son rival Maxence, Constantin reçoit en songe la "visite de Jésus lui-même" lui présentant un chrisme et lui assurant la victoire – « In hoc signo vinces – Par ce signe tu vaincras ». La victoire lui revenant, Constantin décide ensuite de favoriser la religion chrétienne au sein de son Empire. On sait aujourd’hui que le jour de cette bataille a correspondu en fait à l’époque avec un alignement exceptionnel des planètes Vénus, Mars, Jupiter, Saturne et la Lune. Un signe astral rarissime que les augures n’ont pas du manquer de souligner, la légende chrétienne entretenue par Eusèbe de Césarée enjolivera les choses, faisant le reste de l’histoire « officielle ». A la suite de sa victoire, il fait apposer sur le bouclier de ses légionnaires son nouveau symbole, le chrisme, formé des deux lettres grecques Khi ( X ) et Rho ( P ), les initiales du mot Christos, signifiant « oint de Dieu », « qui a reçu l'onction sainte de Dieu ». Par la suite, le chrisme devint le symbole des légions romaines.

Cependant, penser que Constantin devint chrétien au sens biblique du terme après la bataille du Pont Milvius est un pur mythe. Bon nombre d'historiens actuels estiment que Constantin est passé entre 312 et le début des années 320 par une phase intermédiaire, en se ralliant au christianisme, mais dans une perspective syncrétique de concilier cette adhésion avec un paganisme épuré qui était dans l'air depuis longtemps sous l'influence de la philosophie néo-platonicienne. Cette nouvelle religion à base philosophique, bien attestée dans les années 250-300, faisait émaner tous les dieux traditionnels d'une divinité unique et suprême, 'La Divinité' tout court, qu'on identifiait souvent depuis le règne d'Aurélien, dans les années 270, avec le Soleil. Cette conversion politico religieuse allait grandement favoriser un syncrétisme vers la chrétienté au travers d’évêques très complaisants.

C'est une théorie très à la mode encore aujourd'hui de croire à la conversion totale de Constantin après 324, elle pourrait paraître solide, mais ne s'impose cependant pas de manière absolue. Si l’on considère l'ensemble de la politique et de la législation constantinienne jusqu'à la mort de l'empereur en 337, force est de constater en effet qu'il a toujours cherché, même après 324, à ménager les païens. Il a gardé toute sa vie le titre de grand pontife, qui lui donnait le contrôle des cultes publics païens, et il a manifesté en général la plus grande tolérance vis-à-vis de toutes les formes de paganisme.

Outre ses ambiguïtés religieuses, son attitude ne milite pas dans le sens d’une véritable conversion chrétienne. Constantin a toujours montré une ambition immense : il a commencé sa carrière en 306 par un coup d'État contre le système tétrarchique dont il avait été exclu, et il n'a cessé ensuite de combattre tous les empereurs du système pour les éliminer : son beau-père Maximien en 309, exécuté, le fils de Maximien Maxence en 312, dont le territoire fut envahi, et qui fut vaincu et décapité, son beau-frère Licinus, empereur d'Orient en 324, attaqué à son tour, défait puis liquidé ; et même son fils Crispus, César à ses côtés, éliminé pour des raisons obscures en 326. Difficile de croire dans ces conditions à une conversion, effectuée, qui plus est, en pleine guerre, qui n'aurait pas aussi des raisons politiques.

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