« Dieu est lumière et l’intérieur de son église
préfigure la Jérusalem céleste dont les murs, selon le texte de l’Apocalypse,
sont construits de pierres précieuses. Le vitrail établit l’espace entier dans
le scintillement de l’orfèvrerie liturgique. Il en fait l’écrin d’une gloire
annonciatrice des splendeurs surnaturelles, il transporte l’âme dans
l’émerveillement. » Ecrit
Georges Duby dans L’Europe
des cathédrales.
Au-delà du désir d’éclairer l’intérieur des églises, les
vitraux répondent avant tout à une logique symbolique. Dès l’Antiquité, la
lumière est associée au divin (Égypte et Grèce antiques). Les réflexions de Platon
sur ce sujet sont reprises notamment par Saint Augustin, qui adapte au
christianisme ces pensées païennes. Dans un même esprit, l’abbé Suger insiste
sur le rôle des vitres colorées. Pour tous ces théologiens, la lumière est une
manifestation physique de Dieu sur terre, et les couleurs renforcent son
caractère sacré. De plus, lorsque le fidèle entre dans l’église, il a
l’impression de se trouver dans la Jérusalem céleste, que la Bible dit bâtie
avec des pierres précieuses, lesquelles sont imitées par le verre coloré. Les
vitraux contribuent ainsi à rappeler au fidèle la présence de Dieu dans
l’église et à élever son âme vers le monde céleste et spirituel.
De surcroît, il convient de ne pas regarder le vitrail
avec un œil contemporain, mais bien avec celui de l’homme du Moyen Age, qui
voyait dans le vitrage un produit de luxe réservé aux rois ou aux nobles richissimes. Quel type
d’ouverture caractérisait donc
les édifices civils
avant les cathédrales gothiques ?
Avant cette période,
pour le château qui privilégie
exclusivement sa fonction défensive, l’éclairage des pièces à vivre constitue
un réel danger. Abritée derrière les remparts de la ville, la maison
patricienne ne connaît pas le même dilemme, et les percements y seront plus
généreux et plus intéressants. Étant donné que, dans la maison simple du type «
masure », il n’existe que de sommaires ouvertures,
totalement privées de
vitrage, la question ne se posait même pas, tant le coût en était
prohibitif. Durant les temps d’hiver, les fenêtres des demeures reçoivent donc,
en protection relativement translucide, des écrans opaques qui occupent soit
leur partie inférieure, soit la totalité de l’ouverture. Les livres des comptes
des frères Bonis, marchands de la ville de Montauban, nous confirment, qu’au
XIVème siècle, les « étamines » restent le moyen le moins onéreux et le plus
répandu de se protéger du froid. Étamines ou toiles cirées pour fenêtres sont
vendues par les merciers.
La conquête des verrières se résume quasi exclusivement
au contexte religieux. Il faut se garder de considérer qu’à partir de
l’époque carolingienne, période présumée
de la création
des premiers vitraux,
les églises se
dotent uniformément et entièrement de parois vitrées. Avant le milieu du
XIIème siècle, dans le nord comme dans
le sud du royaume, les vitraux
religieux s’avèrent extrêmement rares
et n’ont dû
représenter que quelques
exemples d’exception. Vers 1140, le chantier de Saint-Denis, aux portes
de Paris, consacre leur usage dans les édifices de culte mais, dans le reste du
royaume, seul de rares édifices ont jusqu’alors livré des vestiges de vitrerie.
Si de
rares verrières ont
existé dans des
abbayes ou des
cathédrales romanes septentrionales, et
parfois méridionales, c’est le passage à l’architecture gothique qui les
impose dans les sanctuaires.
Un vitrail de cathédrale s’assimilait plus à un joyau de
verre, qu’a un simple vitrage, tant son coût était exorbitant et sa fabrication
longue et complexe. Ce que le simple fidèle voyait en entrant dans une
cathédrale, c’était le scintillement multicolore des joyaux posés dans les
fenêtres qui se reflétait dans tout l’édifice religieux. Le but recherché était
naturellement de renvoyer l’image d’Apocalypse 21 : Et il me montra la ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel
d’auprès de Dieu, 11 ayant la gloire de
Dieu. Son éclat était semblable à celui d’une pierre très précieuse, d’une
pierre de jaspe transparente comme du cristal. 12 Elle avait une grande et haute muraille. Elle
avait douze portes, et sur les portes douze anges, et des noms écrits, ceux des
douze tribus des fils d’Israël: 13 à
l’orient trois portes, au nord trois portes, au midi trois portes, et à
l’occident trois portes…
…18 La muraille était construite en jaspe, et la
ville était d’or pur, semblable à du verre pur. 19 Les fondements de la muraille de la ville
étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce : le premier fondement
était de jaspe, le second de saphir, le troisième de calcédoine, le quatrième
d’émeraude, 20 le cinquième de sardonyx,
le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le huitième de béryl, le
neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième d’hyacinthe, le
douzième d’améthyste. 21 Les douze
portes étaient douze perles ; chaque porte était d’une seule perle. La
place de la ville était d’or pur, comme du verre transparent. 22 Je ne vis point de temple dans la
ville ; car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple, ainsi que
l’agneau. 23 La ville n’a besoin ni du
soleil ni de la lune pour l’éclairer ; car la gloire de Dieu l’éclaire, et
l’agneau est son flambeau. 24 Les
nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur
gloire.
Les vitraux renvoient donc directement un écho de la
Parole scripturale, ils sont l’image des mots, comme la sculpture l’est pour la
pierre. Ainsi se révèle dans sa nature, la raison de la dimension gigantesque
des cathédrales gothiques, rendre au travers des claires-voies, l’invisible
visible et transformer l’intérieur de l’édifice en livre de verre, comme les
sculptures l’ont transformé en livre de pierre à l’extérieur. C’est permettre
aux fidèles d’approcher et « lire » la Parole de Dieu et d’avoir
accès à ce qui normalement est réservé à ceux qui savent lire et ont de l’instruction,
notamment le clergé. Clergé qui évidemment illustre leur catéchèse en s’appuyant
largement sur les illustrations des vitraux qui les dominent. Au IVème siècle,
le pape Grégoire
le Grand écrivait : « L'art de la
peinture est utilisé dans les églises pour que ceux qui ne savent pas lire apprennent
sur les murs ce qu'ils ne peuvent apprendre dans les livres » (Reg. IX, 208).
De même, Saint Bernard
lui-même admet que «
l'art est un
aliment pour la
piété du pauvre peuple » (Apologia CXII).
Il ne faut pas oublier que la pratique liturgique de ce
temps implique des lectures quotidiennes aux offices, des sermons, des
commentaires, en bref un "bain" intellectuel dans lequel chaque jour
les homélies reprennent des exégèses, les complètent, les méditent: nous sommes
loin de pouvoir imaginer une telle fermentation. Quelle était la teneur de ces
homélies quotidiennes? Selon une tradition exégétique immuable, on voyait
partout des allusions symboliques, on expliquait l'Evangile par l'Ancien
Testament, les vies de saints par leur rapprochement avec la vie du Christ...
On cherchait inlassablement à tisser des liens entre les personnages de la
Bible et les héros des légendes hagiographiques, des correspondances entre les
événements du passé et du présent, on cherchait à déchiffrer les clefs de
l'harmonie du programme divin en imaginant partout des effets d'écho, de
miroir. Par ce moyen, il devenait aisé de confondre la cathédrale avec la
Jérusalem céleste. La cathédrale devenant l’écho terrestre de ce qui existe
dans le ciel.
Les chanoines ont donc voulu écrire, par les vitraux, un
grand livre de théologie, de théologie catholique il va de soi. Avec
quoi et comment l'ont-ils écrite? Ils bénéficient, d'une part, l'héritage
d'une très longue tradition de l'ornementation des églises. Par ailleurs, pour
faire de ce gigantesque déploiement d'images un soutien à la liturgie
quotidienne, ils peuvent le transformer en vaste
Livre d'Heures, ce livre de prières
qui permet aux laïcs de rythmer leur vie avec des lectures quotidiennes
éclairées par la vie du saint dont on fête l'anniversaire. Il leur faut donc
sélectionner ces vies de saints, ceux dont les chanoines veulent rehausser le
culte, donc de préférence ceux dont ils gardent les reliques, de manière à
transformer les murs en pierreries pour cet immense reliquaire qu'est la
cathédrale. Mais ce lien aux reliques n'est pas systématique: il n'est qu'une
des composantes de la sélection, sachant que parmi les autres composantes il y
a le désir de s'adresser, par leurs patronages, aux chevaliers comme aux rois,
aux pèlerins comme aux bourgeois, intégrer les saints des origines comme ceux
de l'actualité pour dessiner le tableau
complet de l'histoire du salut. Il leur faut surtout les
disposer de telle sorte qu'ensemble tous ces joyaux construisent un discours
intelligible, avec des réseaux de significations semblables à ceux que ces
mêmes chanoines tissent lorsqu'ils écrivent leurs homélies.
La cathédrale tente donc de réunir le passé scriptural
inscrit dans ses murs, avec le présent représenté par la communauté des croyants
rassemblée en son sein. Ils sont l’héritage du livre, son reflet, comme le
prouve toutes ces lumières multicolores qui se reflètent pendant le jour, sur
ceux qui sont présent dans l’édifice. L’Eglise catholique a donc astucieusement
réussit à éloigner physiquement et intellectuellement de la Bible le monde
chrétien, pour le remplacer par un ersatz empreint de culture et théologie catholique,
où le dogme et la tradition remplacent avantageusement la connaissance directe
de la Bible.
Les codes de
formes et de couleurs
Bien que ne sachant pas lire, les fidèles à l’intérieur
des églises devaient apprendre le langage des signes, sa sémiologie complexe et
varié intégrant un code de couleurs et de formes. Le premier de ces codes utilisés et le plus
simple à identifier est la couleur. L'art médiéval dans son ensemble est régi
par un code des couleurs qui est essentiellement religieux. Louis Grodecki dira même que : « Le vitrail peut
être considéré comme un art de la couleur pure. »
Le violet par
exemple sera utilisé pour le deuil, car il illustre la Passion du Christ. Cette
couleur est donc réservée à sa robe. Le
vert, couleur de la couronne de Jésus, mais aussi de sa croix, évoque
l'humilité. Ce n'est qu'au XVIe siècle, avec le style Renaissance et la
recherche de l'hyper-réalité (les scènes dessinées sur les vitraux seront à
cette époque, que cette couleur retrouvera sa signification la plus évocatrice
: celle de la nature. Le rouge est
amour et charité. C'est le sang du sacrifice de Jésus et il appelle au divin
par la souffrance et le martyr. Dans l'iconographie du vitrail, on le trouve donc
sur la robe de saint Jean.
Le bleu, pour la
chasteté et l'innocence, c’est la couleur de la robe de la Vierge Marie. De
même, plantant un décor plein de candeur, on remarque que beaucoup de scènes
bibliques peintes sur verre, aux XIIe et XIIIe siècles, furent dessinés sur un
fond bleu. Au Moyen Age cette couleur va rapidement prendre une importance
capitale, car la société commence à se diversifier, ce qui entraine un besoin
de classification, de rangement (c'est la naissance des armoiries, des noms de famille...).
Or les 3 couleurs de base jusque-là établies (noire, blanc et rouge) ne
suffisent plus à donner un ordre aux choses, un rang aux personnes. On ajoute
donc 3 autres couleurs, dont le bleu. Le bleu gagne alors du terrain dans la
course à la classification des couleurs. Et cela se fait de façon très simple :
puisque la Vierge s'habille en bleu, les rois le font aussi ! D'abord Philippe
Auguste, puis Saint Louis. Et en trois générations, le bleu déteint aussi sur
l'aristocratie, par imitation, ou par mode pour parler en langage moderne. Du
coup, les tableaux, les vitraux et les enluminures se teintent de bleu et la
couleur se répand dans toutes les couches de la société. Le bleu d’une certaine
manière suit l’ascension de la Vierge dans le panthéon catholique, plus elle
s’élève en gloire, plus le bleu est magnifié. Le bleu deviendra la couleur préférée des
Français, puis des Européens qui aujourd’hui l’on adopté comme couleur du
drapeau de l’Union européenne, qui ne l’oublions représente la couleur de la
Vierge et les douze étoiles sa couronne.
Outre les couleurs, tout élément, tout objet peut avoir
un sens. Les attributs génériques désignent
une catégorie de personnes, par exemple
l'auréole désigne le saint,
la palme désigne le
martyre etc... Ils
indiquent aussi la fonction
du personnage dans
le monde ou
dans l'Église :
au roi la
couronne, à l'évêque
la mitre et/ou la
crosse (qui désigne
aussi l'abbé). D'autres attributs font
allusion à l'histoire personnelle d'un saint (dans la
clé de saint Pierre figure l'institution de l'Église par le Christ ; Madeleine tient
le flacon de
parfum qu'elle a
répandu sur les pieds du
Christ), ou à ses miracles.
Mais les saints s'identifient la plupart du temps par l'instrument (ou le
résultat) de
leur martyre : Saint Denis
(comme bien d'autres
décapités) porte sa
tête sous le
bras, Catherine tient une roue
et Paul, une épée. Les attributs sont
aussi des objets, vêtements, symboles ou animaux qui permettent
d’identifier les personnages (St Jean : l’aigle, St Luc : le Taureau, St Marc :
le Lion …)
Si des attributs individuels n’appartiennent qu’à un seul
personnage comme les clés de St Pierre ou l’épée de la Justice, d’autres sont
des attributs collectifs qui désignent tous les individus appartenant à une
même catégorie. Le nimbe est par exemple l’attribut collectif des personnages divins, des
saints et parfois
des vertus personnifiées. Il arrive que les artistes remplacent
le nimbe par une couronne. Certains objets
sont chargés d’une
fonction symbolique comme la
banderole de parchemin
appelée phylactère est
un véritable « objet parlant ». Celui-ci symbolise leur sagesse ou leur savoir. Pour cette raison, donner un phylactère
signifie transmettre son enseignement.
Une image est composée d’éléments (personnages, objets,
animaux) un peu comme une phrase est constituée de mots. L’homme étant, dans la
pensée du Moyen Age, au centre de la création voulue par Dieu, la figure
humaine tient le premier rôle dans l’image de cette époque. Les
individus représentés sont
tirés de l’histoire
ou de l’environnement quotidien, certains sont
imaginaires mais leurs
costumes sont médiévaux
sauf les personnages
de la Bible qui eux sont drapés «
à l’antique ». Des allégories, souvent féminines, personnifient les notions
abstraites comme la Sagesse ou la Justice.
Pour les hommes du Moyen Age, l'important dans les rapports entre
les personnages n'est pas la réalité des corps, c'est celle de l'esprit
et de la foi. Il ne faut pas chercher le réalisme ou la perspective mais le
sens au-delà du
récit illustré. Personnages historiques
et allégoriques se côtoient. Peu à peu, du XIII ème au XV
ème siècle, on passe du symbolisme au réalisme ; pourtant
jusqu'aux recherches de perspective
du XV ème siècle,
la taille des personnages n'indique
pas une vraisemblance physique mais un rapport hiérarchique social
ou spirituel. Il
en est de même
de la position
sur l'image : tout
en haut
se tient Dieu,
le saint, l'empereur ou
le personnage à
honorer, tout en bas le plus
humble ; au-devant, le plus
important et à l’arrière, le plus
insignifiant.
La situation par
rapport au centre
de l'image ou au personnage
principal a aussi son importance
: la place valorisante est à droite ; la gauche
(« sinistra » en latin) a souvent une consonance négative. Cependant, dans les scènes
narratives, la situation peut traduire tout simplement la succession des
épisodes (généralement de gauche à droite du point
de vue de l'observateur). La position
de face est très valorisante (Dieu,
un roi, un juge), de trois-quarts
elle est parfaitement
neutre mais un personnage de profil a toutes les chances d'être un
méchant, surtout s'il ouvre la bouche et qu'il est laid ou grimaçant.
D'ailleurs la laideur physique est souvent
le signe d'une laideur morale.
Il existe évidemment dans les gestes bien des significations
pour exprimer des sentiments, Il y a des gestes pour communiquer et des gestes pour
agir ; des gestes pour exprimer des notions, des émotions ou des sentiments. Le
degré le plus élémentaire de
la communication consiste
à montrer quelque
chose ou quelqu’un.
On montre du doigt ou de la main. Montrer, c’est également la façon la
plus simple d’enseigner, c’est pourquoi pointer le doigt signifie aussi
affirmer ou donner un enseignement.
Pour qu'une symbolique
de l'image soit
lisible et compréhensible, il
faut que les
codes soient simples
et que chacun
de ces codes
s'applique sans confusion
possible à une
action, à un
sentiment, à un
genre ou à
un personnage particulier.
La part laissée
à
l'improvisation de
l'artiste est minime,
car seul le
poids des traditions
iconographiques inlassablement répétées arrive à créer un usage
collectif mais si les codes ne changent guère,
il y a
néanmoins une évolution
entre l'âge roman
et l'âge gothique.
Le premier semble
s'attacher
davantage à l'expression
des dogmes fondamentaux
et des valeurs
morales, le second donne plus
d'importance à la connaissance du monde et au rayonnement des hommes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Comme je ne veux plus perdre du temps à répondre aux commentaires inutiles j’ai activé le filtre.