http://schoenelblog2.blogspot.com/ Lettre à l'Epouse 2: Le mystère des cathédrales – 26

lundi 3 septembre 2012

Le mystère des cathédrales – 26


L’art  du  moyen-âge  en  occident  ne  peut  être  compris  sans  son  rapport  à  une géographie sacrée, à une histoire chrétienne du monde et à la place que l’homme est amené à y occuper. Tout alors est mis en œuvre pour élever l’homme vers le spirituel. Les rituels religieux rythment la vie des hommes et chaque œuvre est à comprendre dans un ensemble dans lequel l’homme reste humble et prêt à s’élever vers le divin (volonté théocentrique). Cette vision théologique de l’homme dans  l’univers cohabite avec des représentations plus scientifiques du cosmos.


La fonction des représentations est donc à l’époque essentielle : on peut citer la lettre de Grégoire le Grand, fin VIème   siècle : « autre chose est d’adorer une peinture et autre chose d’apprendre par une scène représentée en peinture ce qu’il faut adorer. Car ce que l’écrit procure aux gens qui lisent, la peinture le fournit aux analphabètes qui la regardent, puisque ces ignorants y voient ce qu’ils doivent imiter : les peintures sont la lecture de ceux qui ne savent pas leurs lettres. » La volonté d’enseigner, de transmettre une vision chrétienne du monde conditionne les représentations religieuses.

Dès l’an mil, les petites églises rurales, les grandes églises, les basiliques, les abbayes, les cathédrales se multiplient en occident. Ces édifices sont de style « roman » avec des voûtes en berceau et des murs épais renforcés de contreforts. Au XIIème siècle, les constructions s’élèvent et s’ouvrent à la lumière.  Le  gigantisme  architectural devient possible grâce à l’invention de l’arc brisé (qui libère le mur de sa fonction porteuse) et donne naissance au style « gothique ». Les bâtiments s’élancent vers le ciel, dévoilant une image de l’univers au travers des niveaux qui les composent.

Nous avons vu dans le chapitre précédant que les cathédrales suivaient l’axe solaire, conduisant les hommes dans un axe horizontal Est-Ouest, des ténèbres de la nuit vers la lumière du jour. Les formes orthogonales formant la base de l’édifice, symbolisent le monde terrestre et humain, alors que les formes circulaires ou sphériques (coupoles, dômes…) symbolisent le monde céleste et divin. Ainsi les éléments tripartis de la cathédrale, l’extérieur, la nef rectangulaire, et le chœur arrondi, symbolisent le cheminement spirituel du catholicisme médiéval.

Le même principe est repris dans l’axe vertical où les éléments tripartis de la cathédrale sont repris au travers de la crypte qui représente le monde des morts, de l’assemblée dans la nef et du clergé dans le chœur qui représentent les vivants, et des vitraux et de la voute qui représentent le ciel et les saints. La conception architecturale en une structure tripartite horizontale et verticale, complète l’enseignement par les lettres et les représentations artistiques de la compréhension de l’univers que doit s’en faire l’homme au Moyen-Age. Tout est conçu pour donner la primauté religieuse à l’Eglise catholique de Rome.

Le premier niveau

Véritables montagnes sacrées au cœur des cités médiévales, les cathédrales sont devenues une image réduite de la création où l’on retrouve les trois plans de l’univers. Le premier plan se développe à partir de la crypte et son reliquaire. Souvent construite sous le chœur, elles sont le fondement de l’église à partir duquel l’édifice entier s’élance vers le ciel. Dans l’abbaye de Fleury par exemple, au cœur de l'édifice se situe la crypte et dans un pilier creux est déposée la châsse contenant les reliques du patron du lieu, saint Benoît, sans qui rien n'existerait là-bas. De ce pilier central sort la double voûte du double déambulatoire, portant le sanctuaire supérieur. Toute l'église se développe à partir de cette crypte obscure. Les reliques y furent déposées en 1108, lors de la consécration de l'autel majeur. L’église est une sorte de projection du saint qui y repose.


Le culte des saints et des reliques a l’immense avantage de drainer vers les lieux de cultes catholiques, les pèlerins et l’argent qui va avec. Du XI ème au XV ème siècles, les pèlerinages furent l'une des formes les plus fréquentes et intenses de la piété catholique; ils touchèrent des milliers, des millions peut-être de chrétiens pendant plusieurs siècles, qui se mirent en route, mus par une forte et impérieuse inspiration religieuse entretenue par la superstition et le mensonge.

Les pèlerins de Saint-Jacques, les croisés et plus encore les battutis italiens du XIII ème siècle ou les flagellants du XIV ème siècle qui se déplaçaient de ville en ville selon des circuits sans but ultime, étaient d'abord des pénitents. Ils offraient l'image de l’ascèse répétée par des longues journées de marche comme un acte de purification, à la fois pour expier leurs propres fautes et (surtout dans le cas des flagellants de 1348) pour entraîner les autres croyants à la conversion. Lorsque, en 1399, le riche marchand Marco Datini de Prato participe avec d'autres citoyens florentins à une procession de huit jours tout autour de la cité, c'est l'aspiration purificatrice qui l'anime et s'exprime dans les stations en différentes églises du parcours et dans le port d'une tunique de lin blanc, même si une file de mules les suit en portant les victuailles et si les pèlerins rentrent chez eux chaque soir...

Les pratiques religieuses de la pénitence ou l’achat d’indulgence sont en contradiction directe avec le principe évangélique de la justification par la foi et non par les œuvres.  Cette dérive majeure, conduira directement au protestantisme, et marque d’une manière profonde l’esprit antéchrist qui anime le clergé catholique. L’Eglise catholique cherche par tous les moyens à recréer sur terre le royaume des cieux, pour s’affranchir totalement de la tutelle divine. Le culte des saints et des reliques joue alors pleinement son rôle pour ancrer sur terre la foi des fidèles qui leur bâtissent des édifices toujours plus grands et nombreux. Les pèlerinages pénitentiels ont été dépassés, par l'importance de leur fréquentation et par la multiplication des lieux de destination, par les pèlerinages ad sanctos, aux saints, dont le but précis était d'atteindre un sanctuaire de dévotion. Ils sont devenus la forme dominante d'une dévotion qui s'appuie sur la perception visuelle et matérielle d'une relique ou d'un objet de culte. Le royaume des cieux se constitue désormais sur terre.

Le sanctuaire type du haut Moyen Age, qui devient aux XI-XII ème siècles le centre d'un courant de pèlerinage "international", est donc un lieu de culte autour du tombeau d'un saint. On va donc inventer des saints de plus en plus prestigieux, comme les apôtres, pour créer des courants de fidèles qui traversent tout le continent. La dévotion en Occident se porte alors sur saint Jacques de Compostelle, qui devint sanctuaire de grande réputation hors de la Galice après qu'il ait été détruit par les musulmans en 997 puis reconstruit. Le tombeau des apôtres Pierre et Paul n'attira les pèlerins d'outre-Alpes qu'à partir du IX ème siècle, lorsque la papauté commença d'organiser son pouvoir temporel, et que Rome fut moins constamment menacée par les armes en Italie.

Les sanctuaires de pèlerinage marial au Moyen Age vont également devenir très importants, ils sont la suite logique du culte des saints: la grande période des dédicaces mariales pour les cathédrales se situe aux VIII-IX ème siècles, et c'est à partir du XI ème siècle que plusieurs d'entre elles devinrent des lieux de vénération renommés. Ainsi la première cathédrale de Chartres s'édifia au-dessus d'une grotte, lieu de culte préchrétien, et d'un puits dont l'eau avait une réputation curative. Les miracles s'y multiplièrent et furent recueillis dans un manuscrit en 1194. Au Puy, la vénération et la réputation miraculeuse s'attachaient à une statue de bois, la fameuse "Vierge Noire". La fréquentation du pèlerinage, liée à celui de Compostelle, s'accrut jusqu'à la fin du Moyen Age. 200 000 pèlerins auraient été présents, selon les chroniqueurs, lors du pèlerinage de l'Annonciation en 1407. Le culte et les pèlerinages à la Vierge, permettront le financement et l’édification de nombreuses cathédrales. Jamais, le titre d’âge des ténèbres pour le Moyen Age, n’aura alors mieux porté son nom.

Les églises furent souvent transformées, voire reconstruites par le clergé desservant afin de s'adapter au rôle nouveau de sanctuaire de pèlerinage. Ainsi s'expliquent les singularités architecturales des cathédrales du Puy et de Chartres. Les trésors de reliques étaient souvent offerts à la contemplation des pèlerins dans la pénombre recueillie des cryptes. Au Puy, la topographie ne permettait pas de creuser une crypte sous le chœur; les maîtres d'œuvre du XI ème siècle établirent donc un cheminement souterrain qui permettait aux pèlerins, après avoir gravi le grand escalier sous le porche, de surgir dans la nef, face à la statue vénérée du maître-autel. A Chartres, l'adaptation de la cathédrale gothique aux fonctions de pèlerinage s'observe par l'extension exceptionnelle de la crypte romane, constituée par deux longues galeries qui s'étendaient sous l'ensemble de l'édifice pour se rejoindre au-dessous du déambulatoire, et par le développement très important de la partie orientale de l'édifice, avec double déambulatoire desservant une couronne de chapelles rayonnantes.

Le rayonnement de ces sanctuaires était exceptionnel. Ils ont constitué des foyers de pèlerinage constants au Moyen Age ; leur notoriété s'est maintenue, d'ailleurs, jusqu'à nos jours. Leur existence était loin cependant d'épuiser l'aspiration aux pèlerinages des hommes et des femmes du Moyen Age. Sur tout le continent, du XI ème au XV ème siècle, se sont en effet multipliés des sanctuaires plus modestes, d'attraction régionale ou locale, mais tout de même capable d'attirer à longueur d'année des chrétiens qui n'hésitaient pas à parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour y parvenir. Pour les uns, qui s'en expliquent ouvertement au clergé du sanctuaire qui les interroge, ces pèlerinages représentaient une "compensation" aux "grands" pèlerinages de Terre Sainte, de Rome ou de Compostelle, que leur faiblesse physique ou financière ne leur permettait pas d'accomplir. Pour d'autres, plus nombreux encore, l'expression d'une piété vive s'accompagnait d'une croyance au miracle obtenu grâce au pouvoir thaumaturgique des reliques conservées. Aux principales étapes des pèlerinages à Saint-Jacques se dressait souvent une basilique funéraire qui abritait les restes d'un saint très ancien: il suffit de penser à Saint-Sernin de Toulouse ou à Saint-Seurin de Bordeaux. A partir du XIIe siècle, l'attraction du sanctuaire est souvent liée à la réputation de bonté et de piété d'un homme d'église que les chrétiens tenaient pour saint dès le jour de sa mort, et que l'Eglise reconnut ensuite pour tel, quelquefois très rapidement.

Le culte aux morts, rebaptisé « saints » par le clergé catholique, conduit les fidèles à édifier leurs églises sur un cimetière d’ossements divers enfoui dans les cryptes. Le premier élément triparti de l’axe vertical qui compose les cathédrales est donc la crypte qui représente les ténèbres et la mort. Tous cela est à mettre en relation avec le chapitre 5 de cette étude sur les cathédrales où je rappelle, qu’ayant inventé le mythe de Pierre comme premier pape, et ainsi justifié une continuité apostolique s’appuyant sur ce texte comme fondateur de l’Eglise catholique, Matthieu 16 : 18  Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle, ils en ont perverti le sens, jusqu’à justement faire prévaloir le séjour des morts dans leurs pratiques religieuses. Les doctrines, comme les édifices religieux catholiques, ont pour fondement la mort.

Il est intéressant maintenant de mettre en perspective les pratiques des prêtres catholiques avec celles des prêtres juifs au temps où le temple de Jérusalem existait encore, puisque les premiers ambitionnent de supplanter les seconds. Les cohanim (prêtres juifs) formaient un groupe saint, dont le rôle était d'appliquer les rites cultuels et sacrificiels énoncés dans la Torah. Afin de les protéger contre l'impureté rituelle (qui ne se confond pas avec l'hygiène corporelle), la Torah leur a imposé des règles de pureté rituelle stricte.  Un cohen (prêtre) n'a pas le droit de toucher de cadavres. Il doit néanmoins se rendre impur pour ses 7 parents proches : père, mère, frère, sœur (uniquement si célibataire), fils, fille, conjoint. Il est interdit à un cohen de pénétrer dans un lieu ou un périmètre dans lequel pourrait se trouver un cadavre ou une partie de cadavre (Lev. 10:6, Lev. 21:1–5; Ezek. 44:20-25). Ceci lui interdit l'accès à un cimetière, la participation à un enterrement, de se trouver sous le même toit (dans une maison, un hôpital, voire un home ou une maison de deuil d'une personne ne faisant pas partie de ses sept proches, tant que le cadavre se trouve sous le même toit) qu'un cadavre, sauf lors d'une veillée funèbre de l'un de ses sept proches, auquel cas il ne porte pas attention à la présence d'autres cadavres. Il est interdit à un cohen de toucher quiconque ou quoi que ce soit qui a été rendu impur par contact avec un mort.

La pratique catholique du culte des morts est donc diamétralement opposée à ce qui se pratiquait du temps du temple de Jérusalem. Le corps mystique de l’Eglise catholique  comme nouveau Temple, se bâtit donc physiquement sur un cimetière, au contact des morts auxquels il voue un culte effréné. Je ferais remarquer au lecteur, que le seul mort auquel un chrétien devrait se référer est Jésus-Christ, mais voilà, il n’est plus mort car il est ressuscité et son tombeau fut retrouvé vide, car justement la mort a été vaincue. Nous sommes donc dans un jeu spirituel qui vise à totalement  inverser les valeurs bibliques, pour imposer celles de l’adversaire qui visent à justement entrainer un maximum de personnes vers la mort.

Le second niveau

Le socle étant posé, le second élément de l’édifice triparti d’une cathédrale peut se constituer avec les vivants. Comme l’idée de base est de reconstituer sur terre ce que Dieu bâtit dans le ciel, mais en en inversant les valeurs bibliques pour rester dans l’esprit antéchrist qui les anime, l’Eglise catholique va organiser les vivants dans ses lieux de cultes, comme une image du temple de Jérusalem qu’elle ambitionne de remplacer. Le développement du culte catholique et du sanctuaire en particulier, est une évolution qui va le rapprocher de plus en plus du culte du temple à Jérusalem. Les premiers chrétiens ne se voyaient pas comme formant une nouvelle religion, mais plutôt comme continuant la relation d'alliance établie par Dieu dans l'Ancien Testament. L'Épître aux Hébreux met l'accent sur la Grande Prêtrise du Christ en tant que remplacement de la grande prêtrise du temple. Les premiers chrétiens organisés en églises de maison, avaient pour seul chef le Christ et le corps de l’Eglise représentait le Temple. Le culte de l'Église catholique va bouleverser cela en réintroduisant le prêtre dans les cultes, imitant en cela le culte de l'ancien Israël et le présentant comme en un progrès naturel. La nef de l'église Chrétienne remplace alors la cour des prêtres dans l'ancien temple, et le chœur remplace le Saint des Saints. C'est basé sur l'idée d'un lieu Saint spécial, mis à part du monde matériel, où Dieu et l'humanité se rejoindraient en leur contact le plus intime.

Le clergé catholique va donc organiser ses églises comme des répliques du temple de Jérusalem, pour leur en donner la forme la plus approchante possible. L’assemblée était donc structurée selon un modèle qui n’existe plus aujourd’hui. Durant la liturgie cultuelle des premiers catholiques, la zone entourant la table de l'autel, vue comme lieu sacré, était séparée du restant de l'espace cultuel par divers moyens, en général un petit écran ou cloison. Finalement, cette cloison devint plus substantielle, et en Orient, elle devint l'iconostase ou cloison d'Icônes. Dans l'Église d'Occident, le Sanctuaire était séparé de la nef par ce qui s'appellera par la suite le jubé, en anglais "rood screen". Le mot "rood" vient du vieux mot Saxon qui signifie croix. Il était traditionnel dans l'Église antique, tant en Orient qu'en Occident, d'avoir une croix au-dessus de la cloison entre la nef et le chœur, placée au centre.


Les premiers lieux de culte publics catholiques d’importances furent des basiliques aux murs ouverts selon le modèle romain d’alors, où une grande croix pouvait être érigée, et où les gens pouvaient se rassembler pour écouter la prédication, être baptisés et recevoir la communion. Lorsque les communautés ont grandi en taille, les basiliques ouvertes ont été remplacées par des constructions fermées. Les intérieurs de ces bâtiments étaient sculptés et peints (comme l'étaient les croix en pierre qui les ont précédés) avec des images des Écritures et des vies de saints. La clôture du chœur a toujours servi de point central pour le regard, et dès lors, c'était habituellement la zone avec l'iconographie la plus importante. Plus la communauté était riche, meilleure était la qualité des peintures et de la statuaire. Dans les églises des débuts, la séparation entre la nef et le chœur était impressionnante, souvent constituée d'un mur plein avec une ouverture relativement petite menant au chœur. Normalement, ce mur était richement décoré de peintures. Avec le temps, l'ouverture arquée fut agrandie, et s'offrit une vision plus complète du sanctuaire.

Afin de continuer à maintenir la distinction entre la nef et le chœur, le jubé est devenu un élément de premier plan. Dans les petits bâtiments où l'ouverture vers le chœur était très petite, une croix fut attachée sur le mur au-dessus de l'ouverture, mais dans les ouvertures sur le chœur de taille plus importante, une poutre était utilisée pour porter une croix au-dessus du centre de l'ouverture. Pour finir, il devint habituel d'avoir une statuaire au sommet de la poutre : un crucifix avec les personnages de Marie et de Jean de part et d'autre. La poutre au crucifix servait de partie supérieure dans ce développement du jubé. Avec le temps, les jubés sont devenus plus complexes. D'une unique étroite paroi, ils se sont parfois développés pour devenir des plates-formes pouvant tenir le crucifix au-dessus du chœur, et où des cierges spéciaux, des statues, etc, pouvaient être exposés, et même de petits chœurs pouvaient aller pour y chanter. La partie supérieure de la paroi (grosso modo à partir d'un mètre 20 de haut) était normalement fait d'étroits piliers sculptés en bois avec une partie d'ouverture substantielle permettant de voir les actions du prêtre pendant qu'il célèbre la Messe. Durant le Grand Carême, un drap était accroché sur le jubé et n'était relevé que durant la célébration de la Messe. Le bas du jubé était habituellement composé de panneaux fermés sur lesquels on trouvait des images de divers saints. Les cathédrales et grandes abbayes ont développé des jubés forts élaborés, en pierre taillée, et quelques paroisses rurales avaient aussi des jubés en pierre, mais le jubé en bois était la norme dans les petites églises paroissiales.

Le but de la séparation de la nef du chœur était clairement d’établir un lieu saint et un lieu très saint dans les églises catholique, afin de sacraliser au mieux l’autel dans ces nouveaux temples. Le Moyen Age a donc vu se reconstituer sur terre des répliques catholiques du temple de Jérusalem, ce qui est une régression majeure quant à l’enseignement des évangiles, puisque Jésus Christ est devenu la représentation de la Loi, la Parole faite chair. Une Eglise structuré de cette manière, n’a plus rien à voir avec le christianisme d’origine, car il est une réminiscence de ce que Dieu a justement effacé au sein du peuple d’Israël au profit d’une nouvelle alliance. La dématérialisation du temple au profit d’un corps de fidèles habité par le Saint Esprit et ayant Jésus Christ comme seul Grand Prêtre qui a offert sa propre vie comme sacrifice expiatoire, est le seul modèle chrétien enseigné dans les Ecritures.

Le troisième niveau

Un socle basé sur la mort, un temple répliquant celui de Jérusalem, il reste étudier le ciel comme troisième élément triparti d’une cathédrale. Composé des vitraux et de la voute, ces éléments à la fois de structure et artistique vont jouer un rôle essentiel dans l’imaginaire spirituel du fidèle au Moyen Age. L'avènement du Gothique tient essentiellement à l'évolution de la vision spirituelle. Contrairement aux idées reçues, les techniques utilisées existaient déjà au temps des bâtisseurs de cathédrales et ne servirent qu'à concrétiser la vision nouvelle. Cette dernière modifia de fond en comble la perception du Ciel et de la Terre et du rôle de l'homme aux époques romane et gothique.

Le mouvement d'ascension du temporel vers le spirituel s'exprima dans la hauteur, la structure, les murs, les ouvertures et les voûtes des édifices. Cela s'est notamment traduit sur le plan technique par la substitution de l'arc brisé à l'arc en plein cintre et l'introduction de l'arc-boutant. L'homme de l'époque gothique, élu de Dieu lorsqu’il était associé à l’Eglise, devait à l’image de ses cathédrales s’élever vers les cieux et Dieu.

L'architecture romane statique s'appuyant principalement sur les pesées fit place à l'architecture gothique dynamique établie sur le jeu des pesées et des poussées latérales. L'arc brisé permettait d'alléger la construction de la voûte pour une hauteur donnée et par conséquent de réduire les pesées sur les piliers; l'arc-boutant de canaliser les poussées latérales vers les contreforts extérieurs. Lorsque l'abbé Suger (1081-1151) fut élu à la tête de l'abbaye de Saint-Denis, il entreprit de reconstruire l'église endommagée selon son idéal théologique: “Dieu est lumière et c'est dans Sa lumière que l'homme trouve la vérité”. Il fallait que la clarté du jour, image de la clarté divine, inonde l'intérieur de l'édifice. À cette fin, l'art gothique s'efforça de réduire la surface murale et de multiplier les ouvertures destinées à recevoir les verrières. Le vitrail fut appelé à jouer un rôle prééminent dans les cathédrales car la lumière non seulement l'illumine, mais le traverse pour faire corps avec la coloration. La clarté paisible de la lumière intérieure de la cathédrale gothique doit tout aux couleurs nuancées de ses vitraux. L'architecture gothique se distingue de la romane par la place sans précédent faite à la lumière. Vitrail et style gothique sont à vrai dire presque synonymes.


L'abbaye de Saint-Denis était la gardienne des reliques du saint et martyr Denys qui, selon la légende, convertit la Gaule au christianisme au IIIe siècle. Le saint fut vénéré comme le patron de la maison royale et son église devînt alors la nécropole des rois de France. Lors de sa reconstruction, la croisée d'ogives, l'élévation sur trois niveaux et les contrebutements au moyen d'arcs-boutants furent pratiqués pour la première fois à grande échelle. Avec ses grandes arcades, son triforium ajouré et ses hautes fenêtres, cette cathédrale de lumière ne pouvait que refléter le monde d'en haut ici-bas. Les gisants des rois de France font écho au monde horizontal terrestre qui contraste avec le vitrail vertical s'élevant vers les hauteurs célestes. Les vitraux étaient destinés à éclairer les fidèles, à leur transmettre la lumière et à élever leur âme jusqu'aux cieux.

Au moyen âge, une matière, un nombre, une couleur, un geste, une personne, un animal ou un végétal était souvent revêtu d'une signification symbolique au-delà de l'apparence. La nature divine se reflétait dans la nature humaine et la nature tout court. Tout au long de la période médiévale et plus particulièrement gothique, les représentations figurant sur les vitraux s'appuyaient sur une correspondance entre ce qui est apparent et ce qui est caché, entre le visible et l'invisible. Dès le XII ème siècle, fait rarissime, un maître verrier est attaché à l'entretien des vitraux qui auraient coûté plus cher que la construction, en pierre, de l'édifice. C'est dire toute l'importance que Suger attachait à la lumière. Les sujets traités sont riches, complexes, essentiellement destinés aux moines érudits. Les grands thèmes de la façade occidentale du XII ème siècle, qui commente l'Ancien Testament comme préfiguration du Nouveau Testament, trouvent leurs aboutissements dans la verrière de la vie de Moïse et dans celle que Suger nomme verrière anagogique, c'est-à-dire "qui conduit vers le haut".

La chapelle axiale abrite le thème de l'arbre de Jessé, célèbre tout au long du Moyen-Âge. Cette généalogie simplifiée de Jésus représente celle qui ouvre l'évangile de saint Mathieu. Mais pour Suger, c'est aussi une image idéale de la royauté. Présenté par Richelieu comme le premier grand serviteur de la monarchie, l'abbé Suger contribue à enraciner l'idée que le roi capétien est une nouvelle image du Christ sur terre. Il convient ici de développer le pouvoir extraordinaire qu’engendre le vitrail, comme outil pédagogique dans l’art sacré.

Historiquement, c'est l'abbé Suger, qui a donné la formulation définitive de l'Arbre de Jessé: un Jessé couché duquel sort un arbre dont les branches grimpantes portent les prophètes (en qualité d'ancêtres spirituels) et les rois (en qualité d'ancêtres charnels) de Jésus. C'est pourquoi l'Arbre de Jessé de la basilique  Saint-Denis revêt une importance capitale dans l'histoire du vitrail. Cette formulation servira de modèle en France et en Angleterre pendant tout le Moyen Âge. La racine de cet arbre est Jessé, la fleur est la Vierge Marie et le fruit Jésus, Messie, fils de David.

La symbolique :  Les rois, les ancêtres charnels du Christ, sont inscrits dans des carrés.  Dans la symbolique, le carré représente le monde créé, donc la terre. Le carré est la figure du monde sensible. Son chiffre symbolique est le quatre. Le cercle, qui n’a ni commencement ni fin, est le symbole de Dieu et de l’Esprit. Dans notre vitrail, les prophètes sont inscrits dans des demi-cercles, ce sont les ancêtres spirituels du Christ. Le chiffre quatre représente la terre dans sa totalité. Dans ce vitrail, quatre rois seulement sont figurés. Ils symbolisent la totalité des rois de Juda qui ne peuvent être tous représentés ici. Le chiffre sept est le nombre parfait, signe de plénitude. Il est très présent dans ce vitrail composé de sept registres ; sept colombes entourent la tête du Christ, représentant les sept dons de l’Esprit.  Ainsi est affirmée autour de Jésus la perfection de l’alliance de son humanité et de sa divinité. Le nombre quatorze, 2 x 7, symbolise la perfection du créé.  La généalogie proposée au début de l’évangile de Matthieu est classée en trois groupes de quatorze générations. Le quatorze est le symbole de la royauté, symbolisée par David qui, en hébreu, s’écrit DVD. Chaque lettre étant dotée d’un chiffre, on obtient pour DVD : 4 + 6 + 4 = 14. Quatorze prophètes sont représentés dans ce vitrail.

Dimension politique de ce vitrail : Depuis Hugues Capet, les rois capétiens, dans le besoin d’assurer leur succession, ont pris l’habitude de faire sacrer leur fils de leur vivant. Au XIIe siècle, Louis VI et Louis VII s’attachent à renforcer l’autorité de la monarchie, aidés en cela par leur premier ministre Suger, abbé de Saint-Denis, pour qui les rois de France sont sacrés comme les rois de Juda, et se transmettent le pouvoir héréditairement. Par leur onction lors de la cérémonie du sacre, ils tiennent leur pouvoir de Dieu et par le ministère de l’Eglise. Ainsi, dès Philippe Auguste, fils de Louis VII, la royauté deviendra héréditaire. La couleur bleue dominante de ce vitrail est justement la couleur qui s’affirmera comme la couleur royale dès le XIIe siècle. Le bleu couleur du ciel, associé à l’onction royale, produit donc un messie selon l’étymologie de ce terme en hébreu. Dans le vitrail, chaque roi est encadré par deux prophètes. Les prophètes sont les conseillers des rois. Ils leur rappellent les limites morales à ne pas dépasser… Suger n’était-il pas celui qui rappelait les rois de France à leurs devoirs, jouant un peu le rôle du « prophète »…

Tout ceci s’inscrit dans une logique plus vaste où le pape se place au-dessus de tout et de tous, notamment sous les pontificats de Léon IX et de Grégoire VII (1073-1085). Ce dernier, en particulier, développa la doctrine de la théocratie pontificale qui portait directement atteinte à l'étendue du pouvoir royal. Trouvant en France un relais politique puissant, la papauté jugea propice d’élever en dignité les rois de France, pour peu qu’ils restent soumis au pape, allant jusqu’à sacraliser la fonction monarchique. Ces quelques lignes écrites par le Pape Grégoire IX à Saint-Louis sont révélatrices : « Ainsi Dieu choisit la France à toutes les autre nations de la terre pour la protection de la Foi Catholique et pour la défense de la liberté religieuse. Pour ce motif, le Royaume de France est le Royaume de Dieu ; Les ennemis de la France sont les ennemis du Christ ».

Le roi de France, en raison du baptême de Clovis 1er est considéré comme le premier souverain de la chrétienté. Au Moyen Âge comme jusqu'au XVIIIe siècle, on considéra le roi de France comme souverain de droit divin - « par la grâce de Dieu » et on lui prêta des pouvoirs thaumaturgiques, comme le fait de guérir des écrouelles. À partir de la deuxième moitié du VIIIe siècle, le sacre conféra au roi de France un caractère sacré, à l'instar des rois wisigoths ou du royaume d'Aragon. Fait unique parmi les monarques de la chrétienté, le roi de France était « oint » par un représentant de l'Église. L'onction du saint chrême, un mélange d'huile d'olive et de parfum dont l'usage, prescrit dans tous les sacrements de l'Église, et faisant aussi partie des éléments du sacre des évêques, contribuait à faire du roi de France le « vicaire de Dieu », son représentant. Les rois de France sont donc devenus grâce aux artifices mensongers catholiques, la suite logique des rois d’Israël, mais au sein du nouveau peuple de Dieu représenté par le monde catholique. Le caractère messianique de Jésus est dépossédé de ses vertus de prêtrise et de royauté, qui sont reprise par les rois de France et le pape de Rome qui deviennent les vicaires (remplaçant) du Fils de Dieu sur terre. Jésus n’étant alors plus que le fruit de la Vierge Marie, le petit enfant qu’elle porte sur ses genoux.

La Sainte Chapelle

Avec Louis IX qui va être canonisé et la construction de la Sainte Chapelle, le mythe d’une nouvelle Jérusalem avec une sainte royauté établie par l’Eglise va atteindre son paroxysme. La Sainte-Chapelle est une chapelle qui fut édifiée sur l’île de la Cité, à Paris, à la demande de Saint Louis afin d’abriter la Sainte Couronne, un morceau de la Sainte Croix, ainsi que diverses autres reliques de la Passion qu’il avait acquises à partir de 1239. Ce bâtiment est considéré comme un chef-d’œuvre de l’art gothique, certains auteurs estimant même qu’il marque l’apogée de cet art.

Pour le très pieux Louis IX, modèle de tous les rois chrétiens, l’achat en 1239, et le dépôt en son palais des reliques de la Passion, prestigieuses entre toutes, est un acte à la fois politique et religieux: La Sainte Couronne d’épines fit dire au pape lui-même que le Christ avait couronné Saint Louis. Un fragment de la Vraie Croix acquis, sur laquelle était mort le Christ, était celui-là même sur lequel les empereurs de Constantinople prêtaient serment.

Outre ces deux reliques insignes, la collection de Saint Louis comprenait 19 autres reliques majeures, liées à la Passion du Christ, faisant de celle-ci l’une des plus fabuleuses du monde chrétien, avec celle du Saint-Sépulcre à Jérusalem et celle de Saint-Pierre de Rome.  C’est l’occasion pour Saint Louis de confirmer la puissance de son royaume (la France était alors l’entité la plus puissante du monde chrétien occidental, seul royaume doté d’une capitale de 200 000 habitants, ville la plus peuplée d’Europe) en légitimant sa filiation de droit divin.

Louis IX fait donc édifier un monument qui associe de manière emblématique sa foi catholique et sa mission royale  sur  terre.  La  Sainte-Chapelle  se  devait  d’être  un  reliquaire  exceptionnel,  un  lieu  qui  exprime parfaitement comment le sacré élève l’âme et l’esprit de l’homme. Le pape Innocent IV écrit à Saint Louis le 24 mai 1244 : « Tu as entrepris de construire sur tes fonds personnels une œuvre dépassant la matière ».

Conçue comme une châsse précieuse devant mettre en valeur les reliques y étant conservées, la Sainte-Chapelle, édifiée dans le palais royal de l'île de la Cité, devait également servir de chapelle royale. Elle superpose deux chapelles : l’inférieure pour les gens du commun, la supérieure pour l’entourage du roi, selon un usage courant dans la construction des palais royaux du Moyen Âge. Dans les premiers temps, la chapelle haute n’était d’ailleurs accessible que par les galeries supérieures du palais, Saint Louis n’ayant pas fait construire d’escalier public.

La chapelle basse, dédiée à la Vierge, était accessible aux gens de service et sert de socle à la chapelle haute. Basse de plafond, bordée de piliers massifs supportant tout le poids de l'édifice, elle n’existe que pour son utilité fonctionnelle et architecturale : permettre d’alléger au maximum la construction en supportant tout le poids de la chapelle haute. Symboliquement toutefois, tout l’édifice repose sur les fondements de la Vierge.


D'une élévation bien plus importante que la chapelle basse, la chapelle haute semble être dotée de murs de verre. Les murs de la chapelle haute sont totalement supprimés et remplacés par de larges baies laissant passer la lumière, seulement séparées par de minces faisceaux de piliers. Les vitraux représentent des scènes religieuses ; celles-ci ont été choisies en fonction de la place occupée par les personnages royaux au cours des offices, les vitraux évoquant le roi David ou le roi Salomon étant placés près du roi. Les vitraux constituent un ensemble homogène, dont les dominantes rouge et bleue donnent à cette chapelle son éclat.

Proche  des  bibles  vernaculaires,  ce  répertoire  biblique  et  prophétique  ne  connaît  aucun équivalent  sur  verre.  D’une  grande  subtilité  théologique,  il  ne  s’arrête  pas  à  l’interprétation  littérale  des Ecritures, insiste sur les figures couronnées, les justes, les tyrans, les scènes de rituel sacré. Il a été conçu par un esprit formé à la dialectique scolastique, probablement un prédicateur de l’entourage royal. Une telle richesse  iconographique  rapproche  ce  chantier  si  particulier  des  Bibles  moralisées  enluminées des  années 1220-1230, ces volumes illustrés de l’histoire biblique destinés à l’usage des rois et des reines. La Sainte Chapelle est une Bible de verre, un modèle et la quintessence de tout l’art gothique sacré.

Les scènes des vitraux représentent :

A : histoire des saintes reliques
B : livre des rois
C : Esther
D : Judith et Job
E : Jérémie et Tobie
F : les visions d'Ezéchiel
G : Saint Jean-Baptiste &
livre de Daniel
H : la Passion
I : Saint Jean l'Evangéliste & l'enfance du Christ
J : l'arbre de Jessé et Isaïe
K : livre des Juges
L : Deutéronome & Josué
M : livre des nombres
N : l'exode
O : la Genèse
La rose (côté Ouest), de 9 mètres de diamètre, représente l’Apocalypse.

Certaines baies ont, au-delà du message religieux, une dimension politique. C'est le cas des baies A, B, C. La A présente l'histoire des Saintes reliques, de la découverte de la Vraie croix par Sainte Hélène à leur arrivée en France grâce à Louis IX. Le roi de France lui-même s’intégrera dans un vitrail sacré, démontrant par là le caractère sacré et le rôle religieux du monarque. Le roi se place ainsi en possesseur des reliques et donc en digne successeur des rois d'Israël. Ce rapprochement est encore souligné par la juxtaposition de cette histoire avec des vitraux illustrant le livre des rois (de Saül à Salomon, baie B). Dans la verrière consacrée à Judith, les inscriptions sont en français et non en latin. On peut y voir une volonté de s'affirmer face au pouvoir de l'Eglise.

Enfin, la baie C, située au-dessus de la niche dans laquelle Blanche de Castille prenait place pour assister aux offices, rapporte l'histoire d'Esther. Un parallèle est ainsi établi entre Blanche, qui sauva le royaume de France pendant la minorité de son fils et qui s'apprêtait à en prendre la direction pendant la septième croisade, et Esther, qui sauva son peuple d'un massacre par son intercession auprès du roi perse Assuérus.

On trouve aussi dans la chapelle haute un ensemble sculpté figurant les douze apôtres. En l'absence de place dans les ébrasements du portail, ceux-ci ont été exceptionnellement placés dans l'église. Les statues sont fixées aux piles qui supportent la voûte. La signification symbolique de cet emplacement n'est pas négligeable. Les apôtres apparaissent ici comme les colonnes de l'Eglise, métaphore utilisée par Saint Paul (Galates, 2,9) ou encore comme les douze assises de la Jérusalem céleste, en référence à l'Apocalypse.

D’une  dimension  inégalée,  les  quinze  baies  de  la  chapelle  haute sont une représentation magnifique de la Bible projetée dans le verre, qui lorsque la lumière du jour les traverse, projettent sur le dallage blanc de la chapelle toute les couleurs de la Jérusalem céleste, nimbant de couleurs célestes tous ceux qui s’y trouvent. Le roi, sa mère, sont comme autant de saints intégrés dans l’image globale de cette nouvelle Jérusalem bâtie ici sur terre, projection terrestre de ce que Dieu bâtirait dans le ciel. La chapelle ayant été élevée en gloire par l’Eglise et le roi, il fallait sceller pour la postérité le mythe du nouvelle Jérusalem terrestre et son roi comme nouveau messie.

Considéré comme un saint de son vivant, Louis IX fait l'objet d'une vénération dès sa mort. Des miracles sont réputés avoir lieu sur le passage de sa dépouille et un service d'ordre doit être mis en place près de son tombeau pour canaliser la foule de ceux qui viennent implorer son intercession. À la demande de plusieurs prélats français, Grégoire X en 1275 ouvre une enquête officieuse sur le défunt roi. Une enquête publique est ouverte par Nicolas III en 1278, puis une autre par Martin IV en 1281 : malgré les suppliques régulières des prélats et des souverains français, les papes tiennent à mener un procès de canonisation dans les formes. La procédure est également ralentie par la brièveté des pontificats successifs.

Enfin, après vingt-sept années d'enquêtes et dans l'espoir d'amadouer le roi de France Philippe IV le Bel, petit-fils de Louis IX, le pape Boniface VIII annonce la canonisation de Louis IX sous le nom de saint Louis de France par deux homélies prononcées à Orvieto les 4 et 11 août 1297. Elle est officialisée le 11 août par la bulle Gloria laus. Louis IX reste plus connu sous le nom de Saint Louis. C'est le premier roi de France à avoir été canonisé.

Les ossements du roi désormais présentés comme des reliques, furent dispersées dans tout le royaume puis dans le monde chrétien. Les reliques de Saint-Denis disparurent pendant les guerres de religion : seul un doigt fut sauvé et conservé à Saint-Denis. Lors de la consécration de la cathédrale Saint-Louis de Carthage à la fin du XIXème  siècle, les reliques conservées en Sicile sont apportées en Tunisie puis, lors de l'indépendance de la Tunisie, rapportées en France et déposées à la Sainte-Chapelle. Le crâne du saint roi restait cependant dans un somptueux reliquaire à la Sainte Chapelle, conservé dans le trésor jusqu’à la Révolution (1793). La royauté de France a donc été définitivement intégrée dans les principes bibliques révélés dans la Sainte Chapelle, le reliquaire et les vitraux.

La fonction des trois niveaux

L’architecture du gothique ayant permis aux vitraux de prendre une dimension inégalée jusque-là, l’image de verre va compléter et transcender celle de la pierre dans les édifices religieux, ils vont être la représentation du ciel au travers de l’expression biblique qu’ils représentent. Les cathédrales vont donc symboliquement représenter sur terre ce que Dieu bâtit dans le ciel. Une réplique terrestre de la Jérusalem céleste. En France elles consacrent l’autorité des papes sur l’Eglise comme remplaçant du fils de Dieu sur terre, alors que L'abbaye de Saint-Denis et la Sainte Chapelle consacrent les rois de France comme successeurs des rois d’Israël et gardien terrestre du temple. Le Moyen Age en France a permis une représentation quasi parfaite de l’antéchrist et du faux prophète décris dans l’Apocalypse.

Il suffit de mesurer l’action de (saint) Louis et de l’Eglise catholique en ce temps-là, pour reconnaitre aisément l’esprit antéchrist qui les anime. En mars 1240, Louis IX organise à la demande du pape Grégoire IX le « procès du Talmud », pour statuer sur l'accusation de juifs convertis au christianisme, selon lesquels le Talmud contient un certain nombre d'invectives contre Jésus-Christ et contre la Sainte Vierge. En 1254, il bannit de France les juifs qui refusent de se convertir au catholicisme. Ce décret fut annulé quelques années plus tard en échange d'un versement d'argent au trésor royal. En 1269, il impose aux juifs de porter des signes vestimentaires distinctifs. Pour les hommes, un rond d'étoffe jaune, la rouelle, sur la poitrine et un bonnet spécial pour les femmes. La couleur jaune est le symbole de la couleur de l'or représentant le péché d'avarice. En mettant en garde la population, ces signes permettent de les différencier et d'empêcher ainsi les mariages mixtes.

En 1233, le pape constate l’inefficacité de la lutte contre les cathares, et comprend que les évêques ne peuvent en même temps lutter contre l’hérésie, exercer leur ministère et gérer leur diocèse. Le 20 avril 1233, il institue l’Inquisition, déchargeant ainsi de cette charge le clergé séculier. Il confie cette institution aux Dominicains, qui font bientôt régner la terreur parmi les diocèses méridionaux, n’hésitant pas à brûler les cathares, favorisant les dénonciations, allant même jusqu’à déterrer les morts soupçonnés d’hérésie pour mettre leur cadavre au bûcher. Au cours de l'été 1240, les Languedociens poussés à bout se révoltent. Le 21 juillet 1242, Louis IX décide d’intervenir, il écrase au passage la noblesse poitevine et le roi Henri III d'Angleterre à Taillebourg, puis marche en direction du Languedoc, à la tête d'une armée et écrase la résistance cathare. Sur le plan religieux les conséquences directes sont l'élimination du catharisme en Languedoc, la création de l'Ordre des Prêcheurs (les dominicains) et la création de l'Inquisition médiévale. Sur le plan politique, le Languedoc, qui jusque-là était encore sous l'influence de la Catalogne et des Aragonais, rentre définitivement dans la sphère d'influence française. La croisade contre les albigeois a comme ultime conséquence d'élargir le domaine personnel des rois de France jusqu'à la Méditerranée et aux Pyrénées.

En 1244, Louis IX tombe gravement malade de la dysenterie et fait le vœu de partir en croisade au cas où il guérirait. Rétabli, il prépare son départ vers les royaumes chrétiens d'Orient en difficulté. Il effectuera 3 croisades. A la dernière les croisés s'emparent de Carthage, mais l'armée est victime d'une épidémie dite de peste (en réalité de dysenterie). Louis IX en meurt le 25 août 1270 sous les remparts de Tunis. Son corps est étendu sur un lit de cendres en signe d'humilité, et les bras en croix à l'image du Christ. Démembré, il finira en reliques disséminées dans le monde chrétien.

Guerres, meurtres, lutte contre les saints, institution de l’inquisition, culte des reliques, etc… Saint Louis et les papes auront grandement contribué à l’édification d’une royauté antéchrist sur terre. Une parfaite représentation inversée de la Jérusalem céleste qui entend avant tout instaurer une ère de paix. Les trois niveaux sur lesquels se bâtissent les édifices religieux au Moyen Age, la mort, les vivants et le ciel, ne seront en fait que l’expression de leurs contraires. Voulant représenter le cheminement du croyant vers la lumière, il le mène vers les ténèbres. Entretenant l’illusion de l’élévation vers le ciel, c’est vers la mort et son royaume que tout le catholicisme est entraîné. L’action des papes et principalement des rois de France qui favoriseront l’édification des premières cathédrales, auront comme principaux objectifs de rematérialiser sur terre le temple et les fonctions messianiques de Jésus. Le but étant d’effacer l’image de l’Epouse mystique du Christ, Temple et corps de l’Epoux divin, ainsi que celle du Christ comme seul tête de l’Eglise.

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