Ce qui vaut pour l’orgueil des hommes, se transcende à l’échelle
d’une nation. Car amplifiée par l’exaltation des foules, du discours d’un leader
ou d’une idéologie dominante, ces courants porteurs peuvent créer une
extraordinaire dynamique, qui entraine les foules bien au-delà de l’horizon de
la perception humaine. Les jeux olympiques sont à ce sens un outil de
propagande absolument formidable, car universel et intemporel, ils se placent
au-dessus des races, des religions, des différences sociales ou culturelles, du
moins en apparence. Il va de soi que les individus les pires que l’humanité ait
pu produire, voient dans les jeux, plus un outil mis à leur disposition, qu’une
idée noble qui transcenderait leur âme perverse et corrompue. Le Baron de
COUBERTIN avait voulu ses jeux dans cet esprit, mais le pire allait venir avec
la montée en puissance du nazisme. L’esprit olympique va alors exalter ce qu’il
prétendait détruire et faire la démonstration du véritable esprit qui l’anime.
Les « arènes
totalitaires »
Cet accablant mais étroit rapport entre les débuts de
l’olympisme moderne, sous l’ère Coubertin, et le fascisme de la première moitié
du XXe siècle (dans les années 30 en particulier), Daphné Bolz l’a très bien
analysé dans une thèse de doctorat, publiée en 2007 aux éditions du CNRS,
portant l’édifiant titre de "Les arènes totalitaires : Hitler, Mussoliniet les jeux du stade".
Ce qu’elle y soutient, en substance ? Que l’architecture
sportive du CIO de ce temps-là était tout entière vouée à l’édification de
l’idéologie dominante sur le plan politique : la fascisme, précisément, dont la
clé de voûte n’était autre, à travers la célébration du sport, que cet
"homme nouveau", préfiguration de l’"aryen", auquel
rêvaient les adeptes du pseudo eugénisme scientifique, au premier rang desquels
émergeait alors, en France, le docteur Alexis Carrel, prix Nobel de médecine en
1912 et membre de l’Académie pontificale des Sciences. Oui : aussi sidérant
cela puisse-t-il paraître aujourd’hui pour ceux qui croient encore très
sincèrement à l’humanisme de Pierre de Coubertin, le langage de ce dernier ne
s’écartait guère, à l’époque, de celui d’Alexis Carrel ou, plus encore, de Francis
Galton, cousin de Charles Darwin, dont la lecture, en 1850, de son
"Origine des espèces" l'a conduit à devenir le théoricien de
l’eugénisme, qu’on appelait alors aussi la "viriculture". Ces hommes
ne sont que le produit d’une France profondément catholique, antisémite et
antirépublicaine, un pur produit de la « fille ainée de l’Eglise ».
Le sport est en pleine expansion dans l’entre deux
guerre, et ceci aussi bien dans les pays démocratiques que dans les pays
totalitaires. Mais en Italie et en Allemagne, le sport devient « une
technique privilégiée pour uniformiser les pensées et les comportements ».
Daphné Bolz note que ce phénomène a été d’autant plus dangereux qu’il
s’exprimait de la façon la plus efficace :
« l’imperceptibilité ». Si les liens entre sport et totalitarisme
nous sont familiers, Daphné Bolz s’intéresse à un aspect méconnu :
l’architecture sportive. Loin d’être des espaces neutres idéologiquement, ils
sont selon elle l’expression « concrète du politique. »
Dès leur arrivée au pouvoir, les régimes nazis et
fascistes se sont emparés des cadres du mouvement sportif pour le diriger et le
promouvoir. En Angleterre, où est née la pratique sportive, le sport est une
affaire privée. Or en Italie et en Allemagne, les gouvernements interviennent
dans le champ sportif et en prennent le contrôle. Fascistes et nazis élaborent
alors un programme de construction sportive sans précédent dans l’histoire. La
qualité des équipements construits fait référence à l’étranger, et de ce point
de vue l’Allemagne et l’Italie se placent à côté des Etats-Unis.
Le sport est encadré politiquement sous une autorité
commune. En Italie, ce contrôle s’exerce par le CONI, le Comité Olympique
National Italien. Achille Starace qui dirige le CONI de 1931 à 1939 est à fois
secrétaire du PNF et à la tête des Jeunesses fascistes. En Allemagne,
l’encadrement du sport est le fait du « Reichsportfuhrer » :
nommé en 1933, Hans Von Tschammer est à la fois directeur du Bureau des
exercices physiques à la SA et directeur du service des sports de Kraft Durch
Freude…. Ce sont des postes clefs et ils échoient à des dignitaires du régime.
Les totalitarismes italien et allemand donnent au sport
le même sens : ce n’est pas seulement une pratique physique, c’est aussi
mettre en avant la réussite d’un régime politique par les scores élevés
remportés par leurs sportifs. C’est aussi mettre ce même régime en scène lors
des spectacles sportifs qui sont avant tout des spectacles politiques. Selon D.
Bolz, les installations «enferment intérieurement les masses nationales et
impressionnent extérieurement les observateurs étrangers».
Les Jeux
Olympiques de Berlin
La ville de Berlin a été élue en 1931 pour recevoir les
JO de 1936. C’est donc la république de Weimar qui a voulu cette candidature.
Mais l’organisation des jeux est un événement formidable pour les nazis.
Ceux-ci apprécient tout particulièrement les manifestations de masse,
expression de la communauté toute entière, le « volk ». Les grandes
manifestations sportives permettent d’exprimer » la qualité des propriétés
biologiques de son peuple. » Aussi, c’est le ministère de la propagande
lui-même qui se chargera de soutenir la communication des jeux.
Par contre, le Comité International Olympique est pris de
doute. Le président du CIO rappelle dans une lettre aux membres du CIO pour
l’Allemagne les principes olympiques dont la neutralité confessionnelle, politique
et raciale. Il est répondu que « le Comité organisateur, le gouvernement du
Reich et toute la nation sont d’accord pour faire des Jeux de 1936 une fête de
l’amitié et de la paix conformément à l’idéal olympique. » Le dossier est
définitivement accepté, mais certains membres du CIO sont dubitatifs. Ils ont
raison. Les JO sont considérés par le Führer comme une tâche politique
particulièrement importante. Cela n’empêche pas certains de ces collaborateurs
de demander plusieurs fois de faire cesser les campagnes antisémites de crainte
que les Jeux ne leur soient retirés. Une campagne de boycott est lancée depuis
les Etats-Unis par un membre américain du CIO d’origine allemande. Mais la
propagande nazie est telle qu’elle réussit à cacher la réalité.
Son premier objectif est cependant tourné vers les
Allemands eux-mêmes, pour les convaincre de l’importance de ce moment. C’est
toute l’Allemagne qui doit faire de ces jeux une gigantesque fête. Toutes les
communes sont dotées d’un comité relais à la propagande nationale. Pour
l’étranger, la propagande cherche à donner une bonne image de l’Allemagne. Elle
est préparée dès 1933 et diffusée en plusieurs langues dans 39 pays. En même
temps, une entreprise de séduction du comité olympique est entreprise. Hitler
soutient financièrement Pierre de Coubertin, alors âgé et démuni. Lorsque les
jeux ont été attribués à Berlin en 1931, les organisateurs pensaient réadapter
le stade Berlin et n’envisageaient pas de nouvelles constructions. Mais les
nazis voient grand grâce à la prise en charge financière des rénovations par le
gouvernement. Le stade pourra accueillir jusqu’ à 100 000 spectateurs Une
esplanade pourra accueillir jusqu’à 300 000 personnes. Toutes les compétitions
seront rassemblées en un seul lieu, le Reichsportfeld, à l’exception de
l’aviron et de la voile Le village olympique est doté de pavillons en durs. Ces
équipements sont utilisés bien avant les jeux comme carte postale, transmettant
ainsi dans le monde entier les preuves visibles, construites, de la réussite du
national-socialisme.
Hitler aime particulièrement l’architecture romaine, mais
les Grecs l’attirent par une soit disant appartenance commune à la race
aryenne. Aussi le site olympique de Berlin se veut être la continuité de l’art
grec antique, du moins dans son organisation plus que dans son architecture, ce
qui plaisait beaucoup au CIO. Les dirigeants allemands manipulent les symboles
antiques de façon à leur accorder un double sens, olympiques pour le CIO, nazis
pour les Allemands. Par exemple, on réinvente la course au flambeau, relayé par
trois mille coureurs et porté d’Olympie (dont la reprise des fouilles est
annoncée par Hitler la veille de l’ouverture des jeux) à Berlin où elle
enflamme une coupelle construite sur un modèle antique dans le stade. L’ambiance
recrée ainsi est autant celle de la mystique nazie que celle de l’idéal
olympique. Le parcours de la flamme depuis Olympie jusqu'à Berlin
passa par la Bulgarie, la Yougoslavie, la Hongrie, l'Autriche et la
Tchécoslovaquie, pays qui furent occupés militairement par le Troisième Reich
quelques temps après. En Hongrie, la flamme reçut la sérénade jouée par un
orchestre tzigane. Lesquels tziganes furent par la suite, rassemblés et envoyés
dans les camps de la mort.
L’idée de transporter la flamme olympique à travers une
course relais, depuis Olympie, berceau des jeux antiques, jusqu’au stade où a
traditionnellement lieu ladite cérémonie, événement majeur sur le plan médiatique,
germa dans le cerveau d’un dignitaire nazi, Carl Diem. Il finit par l’appliquer
concrètement, pour la première fois, lors des tristement célèbres Jeux
Olympiques de Berlin, en 1936, pour lesquels il fut nommé, par le Ministre des
Sports du Troisième Reich (Hans von Tschammer und Osten, qui ne faisait rien
sans l’approbation de Goebbels, Ministre de la Propagande), Secrétaire Général
du Comité Organisateur.
Rien d’étonnant à cela lorsque l’on sait que c’est le
Comité International Olympique lui-même – dont Pierre de Coubertin, père de
l’olympisme moderne, était le président d’honneur – qui confia à la République
de Weimar, dès 1931, les Jeux de Berlin, qu’inaugura, nimbé de l’antisémitisme
ambiant, le Chancelier d’Allemagne : Hitler, futur commanditaire, en plus de
mettre l’Europe à feu et à sang, du plus gigantesque crime, avec la Shoah, au
sein des annales de l’humanité. Hitler, Coubertin, Diem : un sacré podium ; un
trio d’enfer ; un record légendaire, qui donne aux jeux olympiques le vrai sens
de leurs valeurs.
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