http://schoenelblog2.blogspot.com/ Lettre à l'Epouse 2: 1 000 000 000 000 000 de yens de dette

samedi 10 août 2013

1 000 000 000 000 000 de yens de dette

Retour à l’actualité eschatologique monétaire. En attendant de passer aux choses sérieuses avec les Etats-Unis et le dollar, le sort du Japon et de sa monnaie le yen, semble scellé. La dette publique japonaise vient de dépasser le seuil symbolique d'un million de milliards de yens (1 000 000 000 000 000), soit 7 777 milliards d'euros. Autant dire tout de suite qu’à ce niveau la dette est impayable et donc irrécouvrable. Le remboursement de la dette représente un quart des dépenses du budget nippon entre avril 2013 et mars 2014. Pour la même période, le Japon finance près de la moitié de son budget par l‘émission de nouvelles obligations.


Le Japon ne s'est jamais réellement remis de l'éclatement de la bulle financière de 1989-1990 qui a stoppé net l'irrésistible ascension du pays observé durant les années 80. Depuis cette époque, le Japon doit composer avec une croissance économique faible à laquelle est venue s'ajouter une déflation (inflation négative) depuis une quinzaine d'années qui bride les investissements, les salaires et la consommation, renforçant ainsi la faible croissance que connaît le pays. Le tissu économique japonais et les mentalités ont profondément changé au cours des deux dernières décennies et le pays s'est habitué à évoluer dans un environnement économique très particulier. Un des résultats de cette situation économique est le creusement de la dette publique qui atteint actuellement près de 247 % du PIB. Autrement dit, la dette publique totale du Japon s'élève à presque 2,5 fois la richesse créée annuellement dans le pays, ce qui constitue un record mondial. En effet, la faible croissance économique et une croissance négative des prix (déflation) creusent mécaniquement la dette.

 De plus, le creusement de la dette intervient dans un contexte de vieillissement accéléré de la population japonaise qui fait peser un réel problème de financement des retraites et de la dette publique. Si la population totale diminue, ainsi que la population active, cela va encore plus peser sur la consommation, l'investissement et la croissance potentielle du pays. Il y a actuellement un quart de la population qui est âgée de plus de 65 ans et ce phénomène est appelé à s'amplifier. La population du pays du soleil levant s'élève actuellement à 125 millions d'habitants, mais elle devrait diminuer à 90 millions en 2050 et chuter à 60 millions en 2100. Le Japon ne pourra vraisemblablement pas faire face au remplacement de sa population active pour deux raisons essentielles. Tout d'abord, il est encore basé sur une société très traditionnelle qui n'intègre pas suffisamment les femmes sur le marché du travail. Ensuite, et notamment pour des raisons historiques, le pays est très refermé sur lui-même, l'empêchant ainsi de faire appel à l'immigration pour subvenir à ses besoins de main-d'œuvre et ainsi soutenir la croissance et financer les retraites et les déficits.

 L'émergence de nouveaux acteurs régionaux (notamment Corée du Sud et Chine) est venue progressivement éroder les parts de marché du Japon, dégradant ainsi la balance commerciale du pays, jusqu'à obtenir une balance des transactions courantes très dégradée. Or, c'est justement grâce à cette capacité à générer des excédents d'épargne que le Japon pouvait jusque-là faire face au financement de sa dette. La crise est venue amplifier cette situation, et du point de vue symbolique, le fait que la Chine (l'éternel adversaire) soit passée devant le Japon en termes de richesse totale a fini d'entériner le fait que le Japon était en phase de déclin.

 Afin de contrer le marasme ambiant, le premier ministre s’est lancé dans la même politique monétaire que les US en faisant tourner la planche à billets. Le principe est de déverser énormément de liquidités dans l'économie afin de créer de l'inflation et de relancer la consommation, mais aussi de faire perdre de la valeur au Yen (la devise nationale) afin de stimuler les exportations pour ainsi augmenter la production et l'activité économique du pays. En pratique, cela implique que la banque centrale du Japon (BoJ - Bank of Japan) achète des bons du Trésor japonais (de la dette) et finance directement les entreprises, perdant au passage son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. L'objectif en terme de montant est de doubler la masse monétaire disponible, autrement dit de doubler la quantité de monnaie en circulation.

Le problème d'une telle politique est qu'elle a deux faces. En effet, d'un côté cela stimule les exportations, mais d'un autre le coût des importations augmente. D'ailleurs, le Japon observe certes depuis sa mise en place, une légère amélioration des exportations, mais ce sont surtout les coûts des importations qui augmentent, notamment ceux des importations pétrolières et énergétiques. Pour le moment, cette politique monétaire ultra accommodante a surtout permis de doper la bourse de Tokyo (le Nikkeï) qui a augmenté de 80 % depuis le début de l'année, comme aux Etats-Unis. Il a y a donc un effet de richesse pour les personnes qui détiennent des actifs financiers. Néanmoins, la perspective d'une hausse de l'inflation fait craindre une "euthanasie " de l'épargne qui perdrait alors de sa valeur. Les détenteurs de titres sont alors incités à vendre pour se protéger contre un risque de dépréciation de leurs actifs. Un des effets est que les investisseurs japonais achètent massivement de la dette européenne, ce qui contribue à garder les taux d'intérêt bas en Europe.

Selon le rapport du FMI sur le Japon publié le 5 août, le déficit public sera de 9,8% du PIB en 2013. L’injection massive de liquidité a permis un feu de paille de croissance, qui déjà sera balayé par les mesures d’économies que la situation budgétaire exige. Ainsi sur de nombreux points financiers, l’économie japonaise ressemble à celle des Etats-Unis. Comme l’effondrement financier inévitable se produira avant celui des US, nous aurons un aperçu des effets que cela produira à une échelle bien plus vaste quand les US y passeront à leur tour. 

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